Ici point d’intrigue amoureuse, de gars perdus qui font sauter un transfo pour séduire une femme. Le récit est beaucoup plus cru et de ce fait tellement plus fort ; les rapports entre les personnages sont moins simples et manichéens ; quant à la fin, elle est à la fois moins démonstratrice et plus grave. Toute la force de ce récit réside justement dans la complexité des liens qui peuvent se tisser entre otages et geôliers ; la frontière entre le bien et le mal reste fragile.
Jean Becker, dans son adaptation cinématographique, a gommé toutes les aspérités, les aspects dérangeants et a ajouté du sirop pour en faire un film grand public. Du coup l’histoire a perdu une grande partie de son âme, la plus belle peut-être. Je vous conseille donc de prendre 1 ou 2 heures pour lire ce petit joyau. Et puis vous comprendrez ainsi d’où vient l’expression “effroyables jardins”.

Voir aussi Aimer à peine, la suite d'Effroyables Jardins.

Du même auteur : L'espoir d'aimer en chemin et Et mon mal est délicieux.

Laurence

Extrait :

Mon père revenait de ses prestations bourré de reconnaissance liquide et satisfait d'être ivre par devoir. Et moi j'avais honte de lui, je le reniais, l'ignorais, je l'aurais donné au premier orphelin si j'avais pensé qu'un seul eût pu l'accepter. Je haïssais ma mère de le mettre au lit, de lui essuyer le front en lui murmurant des tendresses.
Jamais il n'a demandé un sou pour s'être produit, nous avoir bousillé un samedi en famille, un dimanche, nous avoir obligés à renoncer à un beau jeudi entre nous. On l'appelait directement à la maison, par téléphone. Il écoutait, demandait juste le lieu et l'heure. Après il informait maman de son engagement. Elle le regardait tirer sa valise d'un placard de la cave et vérifier ses accessoires. L'essence dans l'auto, le ticket de tram, les faux frais c'était pour sa pomme. Simplement, avant de partir, il nous interrogeait du regard et observait une tradition : hésiter, faire comme si cela lui pesait de nous laisser en plan, de nous sacrifier à son plaisir. Presque il renonçait, reposait déjà la valise, non, non, il n'irait pas, c'était trop cruel que de nous négliger. Tout ce tintouin pour qu'on fasse notre part de cette mascarade des tendres et impossibles arrachements, que maman condescende, ma soeur Françoise et moi étant inclus dans sa reddition, à l'accompagner avec fierté.


Editions Folio – 75 pages.