Dans les années 90, un biographe obtient une autorisation pour aller consulter les archives nationales, et plus particulièrement les documents concernant l'occupation. Or, au cours de ses recherches, il découvre par hasard la lettre de dénonciation qui a envoyé à la mort la famille de son ami d'enfance. Il prend alors la décision d'en retrouver l'auteur pour que celui-ci lui explique son geste. Mais rapidement sa quête se transforme en harcèlement.
Néanmoins, peut-on dénoncer un dénonciateur ? Peut-on harceler, terroriser une personne sous prétexte d'une envie de justice? Surtout quand plus de 50 ans se sont écoulés depuis les méfaits. Toute la narration se fait à la première personne, et l'on suit les pensées obsessionnelles d'un homme animé par ce désir de vengeance. Mais comme toutes les obsessions, celle-ci est malsaine. Ne devient-on pas soi même bourreau du bourreau ? Et mérite-t-on plus d'indulgence si l'on rend public le passé trouble de nos concitoyens quand tant de temps s'est écoulé ? C'est toute la question que pose ce livre.
L'écriture est fluide, agréable. J'ai été séduite par certaines formulations, j'ai souri à d'autres. L'histoire est prenante, et le livre se lit avec plaisir et facilité. Mais je trouve que le personnage ne se remet pas suffisamment en question, comme si ce qu'il avait fait n'était pas si grave puisque sa victime est une ancienne collabo. La formule “Œil pour œil, dent pour dent” ne m'a jamais convaincue, la fin de ce livre non plus. Finalement, certains livres cachent des secrets faits pour être sortis de l'oubli, comme le poème de ma sœur, d'autres livres gardent des secrets qui n'apporteraient que désolation s'ils étaient sus de tous. Certains secrets sont des cadeaux qui vous portent, d'autres des poisons qui vous rongent. Paradoxalement, ce livre restera pour moi celui d'un merveilleux cadeau, redécouvert après des années d'oubli. Et c'est tant mieux.

Du même auteur : Sigmaringen

Extrait :

Rien. Toujours rien. Rigoureusement rien. Le nom de Désiré Simon n'apparaissait nulle Pourtant j'avais sous la main tous les dossiers de cette saleté de bureaucratie. Les lettres, les minutes, les rapports, les télégrammes, les bordereaux, et même les factures de ladite police aux questions juives, mais non, il n'y avait rien.
Je continuais pourtant, jusqu'à la nausée. Quand je n'y voyais plus clair, je retirais mes lunettes, me frottais les yeux, que je gardais clos. Ainsi prostré pendant de longues minutes, je me laissais gagner par le malaise. Pour le chasser, il fallait reprendre et poursuivre. Une voix intérieure me disait : tu brûles... En attendant, je me consumais.
D'habitude, après des mois de recherche, j'étais en parfaite osmose avec mon personnage. Il ne fallait guère plus que cette délicieuse empathie pour faire mon bonheur. Cette fois, je me retrouvais sans l'avoir voulu en harmonie avec un frêle moment de sa vie. Je ne me reconnaissais plus.
Les années quarante m'étaient devenues une seconde patrie. Mon pays d'adoption en quelque sorte. Mais je ne l'habitais pas, c'est lui qui m'habitait. L'Occupation m'avait pénétré. Je n'étais plus un homme, j'étais une guerre civile.
Parfois, mon regard se posait sur un nom, une date, un fait. Puis il repartait. Fausse alerte. Jusqu'à cet instant précis où, en haut à droite d'une lettre, je lus machinalement une adresse, qui me fit sursauter à la relecture. Je lâchai un « Quoi? » qui dut être assez sonore pour troubler la quiétude des lieux puisque quelques chercheurs se tournèrent vers moi le regard chargé de reproches.
Je levai les yeux. La grande horloge à quartz indiquait seize heures onze. C'est à cet instant précis que tout a basculé.


Editions Gallimard - 192 pages