De 1964 à 2004, le narrateur égrène son passé à travers les tubes qui ont marqué ses souvenirs. De Let the sunshine in à Respire, quarante ans d'une existence en dent de scie.

Chaque chapitre porte le nom d'une mélodie et y fait un clin d'œil plus ou moins explicite.
Tout commence avec l'enfance, un père violent, un frère absent et une mère trop silencieuse. Au millieu de cet ersatz de foyer, Yoan grandit comme il peut. Il se construit d'autres murs pour se protéger.
Et puis vient l'adolescence et ses premiers émois. Jusqu'au choc : la disparition soudaine de ses proches. Il faut alors se reconstruire, se perdre, s'enfuir, se construire à nouveau, tant bien que mal.

Au départ séduite par ces bouffées de nostalgie, des mélodies connues accompagnant chaque chapitre, j'ai ressenti une empathie immédiate pour ce jeune Yoan. Certaines scènes resteront, je le sais, gravées dans ma mémoire livresques. Et puis, l'âge adulte arrivant, Yoan s'est éloigné de moi en même temps qu'il quittait la France. Je n'ai pas réussi à la suivre dans son périple américain. Mais comme une amie, j'ai attendu son retour, et je ne l'ai pas regretté. Au deux-tiers du livre la magie a soudain refait surface, l'émotion était là, pure, intacte; fragile et complexe comme les relations humaines. On s'attache très vite à ce narrateur un peu dépassé par la vie.

Par Laurence


Des musiques comme autant de petites madeleines (de Proust) pour égrener les souvenirs de Yoann, je trouve l’idée très originale et intelligemment menée. Le choix des titres est vraiment réfléchi, subtil, en adéquation parfaite avec l’évolution de l’enfant, ses états d’âme, ses rencontres. Ces associations m’ont fait sourire ou parfois présager un événement particulier. Je n’ai pas pu m’empêcher de me rejouer mes propres madeleines-musiques. Les émotions attachés à ces chansons ou morceaux de classique. J’aime ces romans qui vous font revenir en vous.

J’ai ressenti un passage à vide à mi-parcours du roman. Il coïncide avec le choc subi par Yoann, après la perte brutale de ses parents. Il décide de tout plaquer et de partir à l’étranger. Il flotte comme dans un état second. Le rythme de lecture s’est ralenti comme le ferait le signal d’un électrocardiogramme flirtant un peu trop avec la ligne continue. J’ai failli être emportée avec lui. La rivière de vie de Yoann s’est transformée en un lac insondable de douleur. Peut être lui fallait-il passer par ces moments, rencontrer certaines personnes comme des bouées qui vous aident à reprendre goût à la vie ?
Ce cap passé, j’ai aimé la lucidité de Yoann sur les événements qui se déroulent autour de lui, sur les personnes qui l’entourent, sa musique de vie. La rivière a repris son cours et la vie continue….. toujours en chanson… Respire…

Dédale


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L'interview de Jean-Philippe Blondel
6h41
This is not a love song, Accès direct à la plage, 1979, Un minuscule inventaire, Passage du gué, Un endroit pour vivre, À contretemps, Le Baby-Sitter, Au rebond, G229, Et rester vivant

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Extrait :

Merde.
Ma mère qui rentre.
Elle va venir tout perturber et après, je vais encore passer des heures à ramener le calme.
Elle accroche ses clés sur le porte-clés en forme de taureau qu'elle a acheté à Irùn la dernière fois que nous sommes allés à la frontière espagnole pour rapporter du porto et le sombrero mexicain qui trône dans le couloir.
Les clés tombent et elle ne les ramasse pas - ça m'énerve. Tout ce que j'ai pu accumuler comme détente disparaît d'un seul coup. Je sais qu'il faut que je tente de ne pas y penser. Je ne suis pas au bout de mes peines. Elle va venir m'embrasser, me demander si j'ai passé une bonne journée et avec un peu de chance, elle disparaîtra dans le salon pour lire le magazine télé.
Je me lèverai sans bruit et j'irai ramasser les clés.
Merde.

Merde, merde, merde.

Elle se plante devant moi et me regarde, je n'arrive plus à manger mes céréales, il y a un grain de riz soufflé qui me reste collé sur le menton.

Pire, elle ouvre le placard et elle prend un bol. Elle se sert des céréales, elle aussi, alors que j'en ai juste le nombre qu'il faut pour une semaine, elle est en train de me priver d'une ration, elle ne se rend pas compte. Elle s'assied en face de moi, sur le tabouret en plastique marron, et elle me fixe - j'ai mal au ventre.

"Ton père et moi, nous avons décidé de divorcer."

Dans ma ration quotidienne, il y a exactement cent douze grain de riz soufflé. Et elle, elle s'est servie sans compter, je jette une coup d'œil dans son bol pour voir combien elle en a versé - approximativement - mais le problème c'est que ce n'est qu'approximativement, il faudrait que je me mette à compter combien elle en prend par cuillère et que j'additionne, je vais en avoir jusqu'à ce soir - et je ne pourrai pas écouter l'émission de Jean-Loup Laffont, "Dix-huit heures basket".

couverture
Éditions Pocket - 211 pages