On a dit de ce livre qu’il était construit comme des poupées gigognes. L’image résume tout ce qui peut se résumer de cet ouvrage puisque que le récit s’avère impossible à synthétiser. Je peux vous dire déjà que le premier chapitre se passe dans ce restaurant minable, fréquenté essentiellement par des chauffeurs de taxi et où, le mercredi soir, quelques femmes les rejoignent pour jouer aux cartes. L’un des chauffeurs de taxi doit quitter pour quérir des danseuses nues à la frontière mais à cause de la tempête il ne se rendra jamais. Au deuxième chapitre nous voici avec les deux danseuses obligées de passer la nuit dans un motel pitoyable. Au troisième chapitre, on retrouve le copain d’une des danseuses… Et, ainsi, pendant quinze chapitres on découvre ce que réservait le 21 décembre à des personnages à la fois uniques et interreliés. Et encore, si ce n’était que ça…

Mais ce livre intelligent est tissé de plusieurs types d’entrelacs. Non seulement les scènes mettent en vedette des personnages se connaissant les uns les autres, mais les thèmes se répètent : un film culte appelé Broken Wings, Don Juan, la conquête de l’Amérique, la Russie, une fameuse photo mexicaine, etc. Les personnages, dispersés à travers le monde, portent des vêtements identiques et les prénoms se dédoublent comme une litanie. Ce livre se construit à la fois sur l’idée des six degrés de parenté qui nous unissent tous (après tout il n’y a que quatre poignées de mains entre Marx et moi ) et sur l’idée qu’à travers les tranches d’individualité de toute cette faune, les mêmes tristesses, les mêmes rêves, les mêmes joies se reproduisent. Le tout saupoudré d’une touche de féminisme qui m’a réjouie.

Hélène Rioux m’a impressionnée par cette capacité que je trouve si rare de marier des histoires passionnantes avec une richesse et une originalité narrative. Les jonctions entre ces différents récits sont d’une habileté incroyable. Rien n’est lourd, rien ne pèse, jamais on a l’impression que l’arrimage est forcé. Les pièces se fondent l’une dans l’autre comme dans un dessin d’Escher. L’exercice visant à dresser un plan de l’ouvrage (et j’y ai pensé !) pour déterrer chacune des interconnexions serait complètement épuisant et révélerait une architecture touffue et complexe. Pourtant rien n’y paraît. La plume est poétique et aérienne. Tous les sens sont sollicités et chaque personnage prend vie dans l’environnement qui est le sien qu’il soit en Floride, au Mexique, en Roumanie, à Montréal.

Par Catherine


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 01 juillet à la suite du "Prix Biblioblog 2008"


Un exercice de style de haut vol qu'Hélène Rioux a réussi avec brio. Un roman d'une originalité narrative, avec une touche de féminisme. Aucune lourdeur, tout s'imbrique de manière naturelle avec des personnages criant de vérité. Une fois le pas de la porte du Bout du Monde passé le lecteur ne peut plus faire demi-tour, tout est déjà trop tard dès la première page car l’engrenage est en marche.
Petit point négatif, les personnages sont peut être un peu trop survolé, on voudrait tellement en savoir plus.

Arsenik

Mon cauchemar de la sélection... Désolé à tous ceux qui ont aimé, mais là, vraiment, la rencontre ne s'est pas du tout faite.
Je n'ai rien contre la littérature canadienne. Mais pour moi c'était un peu too much. Suivre pendant plus de deux cents pages les atermoiements de personnages en plein égarement, psychologique ou sentimental. Avoir des « pauses » irrespirables d'auto-analyse et des histoires sans aucune logique. Une succession d'événements et de personnages, d'idées et de réflexions sans queue ni tête. Et un rapport au titre qui m'a totalement échappé.
Je m'attendais à avoir des discussions sur des pays étrangers, des brèves de comptoir (j'ai quand même lu qu'il s'agissait d'un troquet paumé) voire éventuellement, dans le pire des cas, un semblant d'humour aviné. Même pas...
Arrivé à la moitié de l'ouvrage, je n'ai pas pu en supporter plus. Donc abandon en milieu de parcours pour celui-ci. Je plaide coupable (avec circonstances atténuantes... ou exténuantes).

Cœurdechene

Que dire de cette histoire ? Il faut avouer que j'ai vraiment eu du mal à terminer cette lecture. Trop de portraits différents dont on suit la vie trop par petits bouts. Je m'y suis perdue. Le lien entre ces personnages m'a quelque peu échappé. Peut être que cette lecture est arrivée à un moment où j'avais l'esprit moins réceptif. Je n'ai pas vu où l'auteure voulait amener ses lecteurs. Dommage. Bien évidemment, j'ai bien apprécié la découverte de la langue québécoise, sa musique, même si parfois, le sens exact des expressions est resté très abscon pour moi. Je suis restée sous le charme. C'est déjà pas mal !! Mais c'est tout.

Dédale

C’est un bouiboui, nommé le Bout du monde, un mercredi 21 décembre, de (trop) nombreux personnages, des histoires de vie, des fragments de monde qui se déroulent au fil des chapitres, sans logique aucune et pourtant…
Pour être franche, je me suis ennuyée à la lecture de ses fragments de vie, et puis…le dernier chapitre est arrivé sans crier gare.
Et je n’étais pas tout à fait prête finalement à le quitter ce bout de monde.
Je ne connais pas Escher [;-)], mais j’irai bien déjeuner en paix au Bout du monde avec Stéphane [;-)], en attendant la suite !!!

Le Bout du monde est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année, même le jour de Noël. On entend le nom, on le répète dans sa tête, on ferme un instant les yeux.

Google

Contrairement aux histoires ordinaires, les forces qui lient les quinze chapitres de ce roman ne sont pas exactement les personnages, mais des lieux, des expressions, des œuvres artistiques, des personnages historiques. Il s'y présente énormément de situations différentes, captivantes au point que j'eusse souvent bien aimé savoir ce qui se passait après que l'entrée dans le chapitre suivant m'eut fait changer de contexte.
L'auteure ayant l'intention de faire un cycle de quatre saisons (le livre est sous-titré « solstice d'hiver »), mon envie sera sans doute comblée plus tard.
Chapitre après chapitre, l'auteure utilise une large palette de styles et de niveaux de langue et on se laisse volontiers tomber en amour avec les particularités québécoises de la langue française. Une très agréable lecture.

Joël

Plus qu'une construction en poupée gigogne, ce roman m'a fait penser aux cailloux du Petit Poucet : chaque chapitre fait écho au précédent à travers un lieu, un nom, une musique... On ne sait jamais quel détail sera au centre de l'épisode suivant. Hélène Rioux a notamment le talent de changer de style à chaque nouvelle histoire pour être au plus proche de ses personnages. On a parfois l'impression d'être perdu dans la forêt de ces destins entremêlés, mais le tout forme un chemin blanc dans la nuit.
Sans aller jusqu'à dire que je suis tombée en amour pour ce roman, j'ai apprécié ces tranches de vies éparses et pourtant si liées. Étrangement, mon rythme de lecture a été assez lent, sans pour autant que je trouve le temps long. Une jolie découverte.

Laurence

Un fil. La narration de ce roman tient à un fil, que l’on déroule et qui nous emmène dans des univers riches et variés : du  restaurant de Montréal à l’Ukraine, d’une île des Caraïbes à un bar de danseuses nues à la frontière canadienne, d’une tempête de neige au soleil étouffant de Floride.
Une fois le mécanisme d’écriture compris, on s’amuse à essayer de deviner quel est le lien avec  le chapitre précédent : un lien de parenté, une connaissance commune, une œuvre d’art,… Et même si les chapitres consacrés à chacun sont courts, l’écriture permet d’entrer rapidement et de saisir l’univers lié à chaque personnage.
Une très belle découverte que ce roman !

Yohan

Extrait :

«Stefan soulève avec la spatule une part de banista, la dépose sur une assiette, en découpe une bouché qu’il présente à Liri avec la fourchette. Celui-ci la happe, la laisse un instant reposer sur sa langue, puis la mastique lentement, l’air extatique. La gourmandise est le dernier péché. Il ouvre encore la bouche, Stefan lui présente une autre bouchée. Un long moment passe. «De quoi parlions-nous ? demande-t-il finalement.
D’une Mexicaine, répond Stefan.
Une Mexicaine ? Qui parlait d’une Mexicaine ?
Vous. Une Mexicaine qui a posé pour une photo célèbre.»
Le papillon voltige, erratique, il cherche sa fleur dans le champ. Il la trouve enfin, s’y pose. «Oui, une Mexicaine, ça me revient, dit-il. J’ai oublié son nom, mais la photo, je m’en souviens… Allongée sur le dos, elle dormait… On voyait ses poils noirs entre les bandages. Ses poils pubiens… Très joli… Oui, elle avait le ventre bandé… Les poils pubiens, ça avait fait tout un scandale… Une époque hautement morale… C’était une photo… automatique. Le poète français surréaliste… Tu sais bien ?»

couverture
Éditions XYZ - 232 pages