Dans un style très simple au rythme parfois un peu saccadé, comme quand on reprend son souffle lors de sanglots lourds, ce livre dévoile le mal en dedans. Celui qui sourd par en-dessous. Celui que Matteo traîne depuis des années et que son agression, alors qu’il est chauffeur de bus, ne fait qu'aggraver. Même la sécurité affective de la salle de boxe ne le réconforte plus comme quand il était gosse.

J’aime le style visuel utilisé par l’auteur. On prend conscience de ce qui entoure Matteo, mais avec un certain détachement. Car Matteo ne se sent plus concerné, touché par rien. On sent bien que son mal est profond, mais qu’il ne faut pas creuser trop…. Il faut laisser venir à soi, doucement, au rythme des souvenirs d’enfance. J’aime cette pudeur !

Et puis il y a Flora, la tante. Celle qui se meurt, là-bas en Italie et que l’on apprend peu à peu à connaître avec les réminiscences de neveu. Flora, une femme « sans artifices, prompte à sourire, mais habitée d’une tristesse abyssale ».

Quand Matteo reçoit la lettre, alors qu’il perd tout, sa femme et sa petite fille… il décide d’aller voir une dernière fois Flora.
Parce qu’entre Matteo et zia Flora, c’est une histoire d’amour « depuis toujours ».

C'est bien là, entre ces deux êtres maltraités, mal aimés, que réside le nœud du roman.

J’ai aimé ces personnages attachants - même le père Lorrenzo malgré ses silences ou ses mots parfois dévastateurs - que la vie n’a pas choyé, lui non plus. Les silences, les non-dits peuvent faire plus de mal que certains gestes. Au fil des pages, Fred Paronuzzi défait les nœuds de vies entremêlées, et qui peuvent étouffer. Il suffit parfois d'une lettre, d'un mot pour que tout respire à nouveau.

Une bonne et touchante lecture.

Ne ratez pas L'interview de Fred Paronuzzi

Du même auteur : 10 ans ¾, Comme s'ils étaient beaux, Un cargo pour Berlin, Mon père est américain, Là où je vais

Dédale


Comme Dédale, cette histoire aurait dû me toucher : des relations parentales difficiles, de l'Italie comme un baume sur des blessures encore vives, une deuxième maman, présente et discrète. Tous ces éléments aurait dû avoir une résonance particulière pour moi.

Tout au long du roman Fred Paronuzzi parvient parfaitement à nous transmettre cette violence sourde, insidieuse... Les non-dit pèsent et les protagonistes comblent les silences avec ce qu'ils trouvent : l'alcool, les coups, la nourriture.
L'écriture elle-même participe de ce processus : la scansion du texte, l'enchaînement de phrases volontairement minimalistes, nominales ou elliptiques, mettent en exergue cette difficulté de communiquer avec l'Autre. Mais c'est qui a été aussi un frein à ma lecture. Comme si Matteo me refusait l'accès à ses douleurs, comme s'il voulait me laisser volontairement sur le quai. Je n'ai pas réussi à l'atteindre.... et je suis passée à côté de lui comme il passe à côté de sa vie.

Par Laurence

Extrait :

Matteo, lui, s’attachait comme une ombre à sa tante, et Marina s’en montrait parfois agacée.
« Il nous en fait voir, tu sais, soupirait-elle, ce n’est pas facile tous les jours… »
Flora ne commentait pas. Ce fardeau, si vraiment c’en était un, elle l’acceptait bien volontiers.

[….]

Une semaine entière avec son Matteo.
Et tout un monde à explorer.

Au petit matin, sa main sagement nichée dans celle de la tante, le garçon n’aimait rien tant que le froissement de l’herbe sous leurs pars et la rosée qui faisait ployer les feuilles et tachait la toile des espadrilles.
Ils ramassaient des fruits tombés d’arbres rabougris et malades qu’ils portaient à l’âne de Cesare, croisant sur des sentes abruptes de lourdes charrettes qui bringueballaient dans le vacarme de roues cerclées de fer, surprenant dans les feuillages la calotte noire d’une fauvette ou le ramage d’un coucou radoteur. Et puis, leurs joues rougies par la marche et le ventre creux, ils pique-niquaient au bord de la rivière lente et paresseuse dont le ruban se déchirait sur les rochers à fleur d’eau.
Du bonheur tout bête, oui, mais c’était du bonheur.

couverture
Éditions Robert Laffont - 132 pages