J'ai commencé par "La place", tout simplement parce que ce fut le premier que je dénichais chez le bouquiniste.

Dans ce roman biographique, Annie Ernaux nous parle de son père qui vient de mourir. Ce décès, survenu deux mois après son admission dans l'Éducation Nationnale, la bouleverse profondément. Elle réaliste soudain la distance qui s'était installée entre eux.
Comme de l'amour séparé, écrit-elle si joliment.
À travers l'écriture, elle part donc à la recherche de ce père, d'abord paysan, puis ouvrier modeste, avant de réussir par maints sacrifices à devenir commerçant.

Elle raconte avec pudeur ses hontes de jeune fille qui fréquente des milieux plus aisé; la simplicité de son foyer qui n'avait peut-être pas l'art de la réthorique, mais savait aimer et protéger.
La Place est celle que chacun occupe ou croit occuper dans la société. Celle que l'on désire atteindre au risque de se perdre et d'en oublier ses racines.

Annie Ernaux nous dit que l'écriture plate [lui] vient naturellement, et elle a eu bien raison de ne pas forcer sa nature. Nul besoin d'enrober les sentiments purs et nobles. Il transparaissent avec bien plus de force quand il sont portés par la simplicité du verbe.
Un roman tout en pudeur.

Du même auteur : Les années, L'autre fille, Retour à Yvetot

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Laurence


Depuis très longtemps, j'ai attaqué la forteresse-collection des ouvrages d'Annie Ernaux de mon frère. Je n'ai jamais réussi à ce qu'il s'en départ d'un titre pour que je le lise ;-( Il est trop fan pour supporter même un prêt. Toujours fixée à mon désir de lire au moins un titre de cet auteur, je me suis donc procurée autrement La place. Je n'ai pas été déçue.
J'ai aimé ce récit d'une vie d'homme montant peu à peu, par son seul travail, les échelons pour trouver enfin sa place dans la société. J'ai aimé le choix des mots de la fille pour parler de son père disparu. J'ai aimé l'écriture d'Annie Ernaux. J'ai aimé son écriture blanche, sans fioritures, ces mots posés au plus juste, pleins de pudeur. Comme l'écrit Laurence, pas besoin d'en faire une tonne et des pages pour que l'essentiel de l'émotion s'exprime avec intensité. Chez Annie Ernaux, les faits, les émotions sont comme des diamants posés simplement. Ils n'en ont que plus de valeur à mes yeux.
Après cette belle découverte, je suis bien déterminée à lire encore plus de Annie Ernaux. J'espère que sa magie opérera encore.

Dédale
le 03 janvier 2009

Extrait :

Comment décrire la vision d'un monde où tout coûte cher. Il y a l'odeur de linge frais d'un matin d'octobre, la dernière chanson du poste qui bruit dans la tête. Soudain, ma robe s'accroche par la poche à la poignée du vélo, se déchire. Le drame, les cris, la journée est finir. "Cette gosse ne compte rien !"

Sacralisation oblige des choses. Et sous toutes les paroles, des uns et des autres, les miennes, soupçonner des envies et des comparaisons. Quand je disais, "il u a une fille qui a visité les châteaux de la Loire", aussitôt, fâchés, "Tu as bien le temps d'y aller. Sois heureuse avec ce que tu as." Un manque continuel, sans fond.
Mais désirer pour désirer, car ne pas savoir au fond ce qui est beau, ce qu'il faudrait aimer. Mon père s'en est toujours remis aux conseils du peintre, du menuisier, pour les couleurs et les formes, ce qui se fait. Ignorer jusqu'à l'idée qu'on puisse s'entourer d'objets choisis un par un. Dans leur chambre, aucune décoration, juste des photos encadrées, des napperons fabriqués pour la fête des mères, et sur la cheminée, un grand buste d'enfant en céramique, que le marchand de meubles avait joint en prime pour l'achat d'un cosy-corner.
Leitmotiv, il ne faut pas péter plus haut qu'on l'a.

La peur d'être déplacé, d'avoir honte.

couverture
Éditions Folio - 128 pages