Poétique de l'égorgeur est un livre totalement loufoque comme je les aime.
Nils Immarsköld Dugay est professeur de droit à l'université de Toulouse. Bon époux et père de famille attentif, il est cependant atteint d'une peur maladive. Peur de ceux qui l'entourent, peur de ses propres réactions.
Pour exorciser ses démons, il raconte à ses filles l'histoire de Yagudin, monstre sanguinaire de sa Norvège natale.
Jusqu'au jour où la fiction dépasse la réalité...

Je ne connaissais absolument pas Philippe Ségur, et son humour grinçant m'a immédiatement ferrée. En quelques tournures bien senties, il installe ses personnages et décors. Certaines situations ou description, sous sa plume, sont irrésistibles. J'ai d'ailleurs mis en extrait un des passages (mais il y en a tellement, le choix a été difficile) qui m'a particulièrement amusé.
La double narration m'a tout d'abord déconcertée et je n'en voyais pas l'utilité, jusqu'au moment, où l'auteur décide enfin de nous dévoiler un partie du ressort romanesque.
À partir de là, je me suis laissée porter par ce récit complètement déjanté. Il y a une certaine jouissance à assister à la progression de la folie, jusqu'au dénouement totalement inattendu. Au carrefour des genres, entre récits fantastique et polar, Philippe Ségur nous offre un excellent moment de lecture.

Extrait :

Les fronts se penchent sur les tables. Les plumes crissent sur le papier. Il n'y a pas un murmure. Les visages sont studieux.
Les étudiants sont évidemment des monstres.
Il les classe en deux catégories.
D'un côté, les amibes. Elles ne savent pas pourquoi elles sont là, ne sauront jamais pourquoi elles sont venues. Elles grouillent. Elles sont indifférentes à tout. Elles sont inoffensives. Comme elles ignorent ce qu'elles sont, elles ne se révoltent pas. Elles sont très déprimantes. On ne discutent pas avec des amibes. Elles se contentent de grouiller. Elles ne l'écoutent que pour passer dans l'année supérieure qui ne les intéressera pas davantage et ainsi de suite jusqu'à l'obtention du diplôme qui leur permettra de mener tranquillement leur petite vie d'amibes et de fabriquer d'autres amibes qui, à leur tout, grouilleront.
D'un autre côté, les bactéries. Elles sont moins nombreuses, mais plus menaçantes. Elles possèdent des connaissances avant d'entrer dans l'amphithéâtre. Elles posent des questions. Elles cherchent à comprendre. Elles sont autonomes et savent s'orienter. Il faudrait leur interdire l'accès à l'université. L'idéal serait d'obtenir des souches hybrides. Des bactéries qui seraient dévorées par le désir d'apprendre, mais qui la fermeraient d'un bout à l'autre de leur cursus. À vrai dire, il en voit passer quelques-unes de temps à autre. Il ne peut pas les supporter. Avec leur fond d'intelligence sous leur faciès d'amibes, on ne sait jamais ce qu'elles pensent. Il n'y a rien de plus exécrable.

couverture
Éditions Points – 230 pages