Richard Bohringer y raconte sa désespérance, ses nuits trop pleines, ses passions et angoisses, les rencontres qui l'ont construit. De ce patchwork éclatant se dessine peu à peu le portrait d'un homme vrai et entier.

Les premières pages sont très déconcertantes. À travers les ellipses, la scansion et les ruptures syntaxiques, Richard Bohringer entrechoquent les mots. Les voix se multiplient et s'entrelacent dans un discours assourdissant. Il y a une urgence de l'écriture qui peut effrayer un lecteur habitué aux trames plus linéaires.
Mais cette claque est nécessaire pour pénétrer dans l'univers de Bohringer. Comme un rite initiatique qui exclurait les moins téméraires. Une fois ce torrent passé, le flot se calme, et l'auteur nous livre en désordre ses pérégrinations.

Parfois, le vocabulaire est cru, sans enrobage. Richard Bohringer dissèque sa vie sous la lumière blanche d'une salle d'opération. Mais le plus souvent, c'est la poésie qui enveloppe ses souvenirs.
Il y a tellement de phrases qui m'ont émue, bouleversée, étonnée.

À travers ses blessures et ses failles, l'auteur hurle surtout son amour pour la vie, et l'on se prend avec lui, à espérer d'être des pas héros qui aiment bien cette vie à la gueule de chien.

Du même auteur : Le bord intime des rivières, L'ultime conviction du désir et Carnet du Sénégal
Voir aussi L'interview accordée à Biblioblog

Extrait :

Je me demande si cette fois-ci je reviendrai. Si je reviendrai dans la vie. Je vis dans du décolorant. Je me souviens des jours dorés. Je me souviens de l'ombre qui tremble. Je me souviens du pain, du café qui fume, des yeux clos, du soleil qui claque derrière le rideau. Du rire dans la maison claire, de l'âme qui s'envole au matin. Je me souviens de la peau, des doigts qui courent gros câlins. Je me souviens et tout revient. Nostalgie imbécile, quitte moi donc cet après-midi. Laisse-moi souffler, me reposer. Je suis épuisé. Je voudrais vivre comme hier, avant ce jour maudit où quelque chose s'envola. Imperceptible absence. Vivre dans du décolorant est épuisant.

Phrases préférées :

Les matins de l'oiseau de feu sont mon instant, ma vérité.
Seul au milieu des haleines fraîches, je me fraie mon chemin à coup d'angoisse. Et la mienne et la leur. Marchant vers un autre bateau plein d'odeur. La cale est ouverte, et l'oiseau de feu me livre enfin son ventre. Je suis mon propre mousse, mon propre matelot, mon propre capitaine.

Dommage, c'est beau je crois la famille.
Mais j'ai eu des chiens et des terrains vagues.

Je n'ai jamais eu de grâce. J'avais les mains courtes. C'est pour ça qu'elle est partie. Elles manquaient d'ailes mes mains.

Les rues sont vides. Aucune girafe dorée en vue. Même les spadassins ont le cafard et traînent leurs meurtres avec désespoir. En ces temps troublés même les statues revendiquent.

Alors ma fille s'éveille et leur dit. C'est mon frère de vie, mon douloureux ami. Vous n'avez rien compris. Je l'aime ce père à la gueule de chien.
Il est de la tribu des balafrés. Et vous l'avez laisse. Il est de la tribu des affamés. Tyran de la tendresse, déambulant d'un amour refusé.

Je croyais que j'étais désespéré. Maintenant que j'ai un peu grandi je sais que ce n'était que de la désespérance. Et la désespérance ça peut se vivre en bleu.

Ma page blanche je te mets à plat sous ma main et puis j'écris oiseaux fleurs. J'ajoute rouge, bleu. À l'autre bout de la ligne après le noir de couloir, je fais tomber étincelant à côté de drapés avec des plis dorés. Je fais tomber un drapé étincelant avec des plus dorés.
Je fais des vagues avec les mots de la phrase et puis je finis avec le mot bateau en pensant légèrement ivre.

couverture
Éditions Folio – 157 pages