Bref, voilà pour l’anecdote qui entoure déjà cet ouvrage.

Dans ce tout petit roman d’environ cent pages – j’insiste parce que l‘on voudrait tous en savoir plus sur nos travers de lecteurs - l’auteur dévoile, décortique comme une intrigue policière la passion qui dévore les bibliophiles. Jusqu’où peuvent-ils aller pour ces ouvrages de papier ? Et ces derniers sont-ils finalement si inoffensifs que l’on pourrait le croire ? Doit-on écouter la grand-mère du narrateur quand elle dit : « arrête, les livres sont dangereux ». Doit-on prendre pour preuve de cette sentence le décès de Bluma Lennon, renversée par une voiture alors qu’elle lisait des Poèmes d’Emily Dickinson, tout juste achetés ? Et pourquoi l’arrivée de La ligne d’ombre de J. Conrad dans le courrier de la défunte pose-t-il tant de soucis au narrateur ?

C’est à ces interrogations que le narrateur, collègue de cette Bluma, professeur au département des Lettres hispaniques à Cambridge, se lance à trouver une réponse et l’identité de l’expéditeur du Conrad, ouvrage recouvert d’une mince pellicule de ciment.

Pour peu que l’on soit déjà passionné de lectures, que l’on souffre de quelques habitudes, pour ne pas dire manies ou TOC, quant à leur classement, façon de les lire, que l’on fasse partie ou non du club des LCA ;-) que l’on aime les livres reliés ou pas, on ne peut que plonger dans cette histoire. Car tout nous parle de livres. C’est un régal et en même temps il nous permet de mesurer notre état de dépendance à leur égard, de mesurer si la folie nous guette ou pas. Car cette passion des livres peut nous mener droit à la folie ou à un enfer tout livresque. Je ne vous en dis pas plus. Vous comprendrez mieux en découvrant l’histoire de Carlos, l’expéditeur de l’ouvrage cimenté.

Je vous avoue que le sort de cet homme m’a effrayé. Une sorte de malaise augmentait au fur et à mesure que ma lecture avançait. Mais je ne pouvais pas décrocher. Il me fallait savoir. J’ai pas été déçue. La surprise a été totale. Et je mesure mieux la menace qui pèse sur mon appartement. De sérieuses mesures s’imposent. Je sais déjà que la dernière extrémité utilisé par Carlos me sera évitée. Impossible !

A la fin de cette lecture, on pourrait s’interroger comme suit : dis-moi comment tu vis avec tes livres et je te dirais si tu es en danger ou non ?

Une prenante lecture de santé publique.

Dédale

Extrait :

Je me suis souvent demandé pourquoi je garde des livres qui ne pourront m’être utiles que dans un avenir lointain, des titres éloignés de mes parcours les plus habituels, que je n’ai lus qu’une fois et dont je n’ouvrirais plus les pages de sitôt, peut-être même jamais. Mais comment me défaire, par exemple, de L’Appel de la forêt, sans détruire une des rares pierres constitutives de mon enfance, ou de Zorba le Grec qui a scellé mon adolescence par des pleurs, de La Vingt-Cinquième heure et de tant d’autres, relégués depuis des années sur les étagères les plus hautes, entiers cependant, et muets dans la fidélité sacrée que nous leur vouons.

Souvent, il est plus difficile de se défaire d’un livre que de se le procurer. Les livres s’accrochent à nous en un pacte de nécessité et d’oubli, comme s’ils étaient les témoins d’un moment de notre vie auquel nous ne reviendrons lus, mais que nous croyons préserver tant qu’ils restent là.

[..]

Personne n’a envie d’égarer un livre. Nous préférons perdre une bague, une montre, un parapluie plutôt qu’un livre qu’on ne lira plus, mais qui conserve dans la sonorité de son titre une émotion ancienne, peut-être disparue à tout jamais.

couverture
Éditions Seuil - 109 pages
Traduction de Geneviève Leibrich