Pannonique est arrêtée au Jardin des Plantes et enfermée dans le camp de « Concentration ». Elle y perdra son nom et deviendra CKZ 114. En face d’elle, son antithèse, la kapo Zedna est payée pour être le bourreau. Le face-à-face entre la beauté et la laideur, le bien et le mal est diffusé sur tous les écrans du pays et Pannonique devient l’égérie de tous. Elle fraternise aussi avec ses co-prisonniers dont une toute jeune fille, une vieille râleuse, et un beau professeur d’une trentaine d’années.

Dans ce roman Amélie Nothomb cherche manifestement à questionner les tréfonds de la société du spectacle et de la télé-réalité. Si les questions soulevées sont intéressantes et certains propos bien ficelés (entre autres en ce qui concerne la façon dont les différents médias s’alimentent les uns les autres), le tout est un peu terne. Difficile d’embarquer dans cette histoire assez froide où le désarroi des uns et des autres est exposé assez superficiellement. J’ajouterais que le fait que les prisonniers soient kidnappés enlève à la force du récit. Cet aspect rend le tout plus invraisemblable que jamais. De plus, l’une des questions centrales posées par la société du spectacle et la télé-réalité est justement celle du libre-arbitre des gens qui se prêtent à ses freak shows. En ce sens, la question était posée plus finement dans le livre d’Eric-Emmanuel Schmitt Lorsque j’étais une œuvre d’art.

J’ajouterais que le style n’est pas renversant et que la psychologie des personnages m’a semblé plutôt binaire. Cela dit, ça se lit en une soirée, très court et très rapide. Je ne connais pas toute la bibliographie d’Amélie Nothomb, mais j’avais de beaucoup préféré Stupeur et tremblements.

Par Catherine


Je n'avais lu jusqu'à présent que très peu de romans d'Amélie Nothomb. À dire vrai Stupeur et tremblement m'avait tellement affligée que je n'avais pas poussé plus loin la découverte de cette auteure. Mais le thème abordé par celui-ci me tentait bien... Et puis, Catherine faisant le parallèle avec Lorsque j’étais une œuvre d’art, que j'ai lu par ailleurs, je voulais me rendre compte par moi-même de ce qu'il en était.
Bien sûr, le style n'a rien de renversant, et pourtant je dois reconnaître que j'ai bien aimé ce roman. Dans une société du spectaculaire et de l'indécence, les questions que soulèvent ce roman sont tout à fait pertinentes.

Amélie Nothomb joue avec l'intertextualité, et l'on trouve retrouve des références à Orwell, Victor Hugo ou encore Romain Gary. Dans ce roman, elle se propose d'étudier le rapport entre réalité et spectaculaire, soit les émissions de télé-réalité. Cette association est par définition paradoxale, puisque le spectacle déforme et biaise forcément la réalité. "Concentration" n'échappe pas à la règle. Les caméras sont partout, les conditions de détentions réelles, mais ce que le spectateurs voient n'est que ce que les prisonniers veulent bien laisser échapper. Leur souffrance, leur intimité, leur peur sont préservées des regards. C'est leur dernier rempart, leur dignité humaine qui est en jeu; ils font donc tout pour ne rien laisser transparaître devant les caméras. Même leur identité est annihilée : comme dans les camps de concentration, ils n'existent qu'à travers leur matricule. Les prénoms, c'est à dire ce qui nous fait, sont bannis. Mais ce qui était au départ une volonté de déshumanisation, va devenir devenir un outil de résistance.
Ici, la barbarie est censée mettre en exergue la beauté : quoi de plus émouvant qu'une fleur au milieu d'un champ de bataille? Pannonique représente la beauté originelle; et plus ses bourreaux se défouleront sur elle, plus les spectateurs seront bouleversés par son innocence. On vient ici réveiller les instinct sadiques des citoyens tout en leur offrant la possibilité de se dédouaner de leur sentiment de culpabilité en prenant fait et cause pour la victime expiatoire. C'est bien ce que nous proposent aujourd'hui les émissions de télé-réalité. En montrant la misère et la déchéance des candidats, elle permet au téléspectateur d'assouvir ses instincts de voyeurisme tout en le rassurant : les personnes filmées sont vraiment en dessous de tout, le téléspectateur lambda est conforté dans son sentiment de supériorité et peut conspuer l'émission tout en continuant de la regarder. Voire même de "tuer" métaphoriquement les candidats en les éliminant du jeu. Amélie Nothomb, pour rendre son propos plus virulent, pousse le principe de télé-réalité à son paroxysme, puisqu'il s'agit ici par l'entremise de la zapette, de véritables exécutions. À plusieurs reprises, à travers la bouche de son héroïne, elle nous interpelle sur notre responsabilité : si ces émissions existent, c'est que nous les regardons. Elle n'oublie d'ailleurs personne et dénonce l'hypocrisie de certains (ceux qui regardent "pour la première fois", "pour savoir", "pour comprendre" etc...).
J'ai également trouvé que les relations entre Pannonique et Zedna (sa tortionnaire) étaient particulièrement bien vues. Amélie Nothomb fait évoluer ce couple, et montre toute la complexité du rapport victime-bourreau. Zedna, la brute épaisse, va apprendre à ses dépends à devenir plus humaine.

Il y aurait en fait plein d'autres points à soulever : le principe de responsabilité (organisateurs? Politiques? Spectateurs? Candidats?), la légitimation de l'horreur, la question de la résistance et de l'espoir etc...
Je comprends la déception de Catherine mais n'y souscris pas. En effet, j'ai aimé ce roman, non pas pour ses qualités littéraires intrinsèques mais pour le débat que déclenche inévitablement sa lecture.

Laurence
le 08 mai 2008

Extrait :

Le lendemain, à l’inspection matinale, Pannonique eut soudain la conviction d’être filmée : la caméra était braquée sur elle et ne la lâchait pas, elle le sentait, elle en était sûre.
Une partie de son cerveau lui dit que c’était du narcissisme enfantin : quand elle était petite, elle avait souvent cette impression qu’un œil – Dieu ? la conscience ? – la suivait. Grandir, c’était, entre autres, cesser de croire une chose pareille.
La partie héroïque de son être lui ordonna pourtant d’y croire, au contraire, et d’en profiter très vite. Sans plus attendre, la jeune fille dirigea son visage vers la caméra supposée et clama haut et fort :
- Spectateurs, éteignez vos télévisions ! Les pires coupables, c’est vous ! Si vous n’accordiez pas une si large audience à cette émission monstrueuse, elle n’existerait plus depuis longtemps ! Les vrais kapos, c’est vous ! Et quand vous nous regardez mourir, les meurtriers, ce sont vos yeux ! Vous êtes notre prison, vous êtes notre supplice.
Puis elle se tut et maintint ses pupilles incendiées.
Le kapo Jan l’avait maintenant rejointe et la giflait comme pour la décapiter.
Le kapo Zedna, furieuse qu’on empiète sur ses plates-bandes, vint l’arrêter et lui murmura à l’oreille :
- Ça suffit. Les organisateurs sont dans le coup.

couverture
Éditions Livre de Poche - 212 pages