Rhéuna a un vague souvenir de sa mère qu’elle n’a pas vu depuis 4 ou 5 ans. Un vague souvenir aussi de l’odeur de la mer, puisqu’elle a passé les premières années de sa vie à Providence dans le Rhode Island. Depuis, sa vie se résume au village de Sainte-Maria-de-Saskatchewan, un oasis francophone dans l’Ouest du Canada. Quand sa grand-mère lui annonce que sa mère la rappelle auprès d’elle, vivant maintenant à Montréal, Rhéuna est partagée entre l’envie de la revoir et la peur de quitter son univers, ses sœurs, ses grands-parents avec la conviction qu’elle ne reviendra plus jamais en arrière. Son voyage en train est ponctué de rêves et de rencontres diverses. Elle s’arrête à Regina, à Winnipeg et à Ottawa ou elle retrouve Régina-Coeli, Bebette et Ti-Lou des membres de la famille de son grand-père. Des rencontres qui la marqueront et feront d’elle ce qu’elle s’apprête à devenir, l’inoubliable Grosse femme d’à côté des romans de Tremblay.

La critique a dit qu’il s’agissait du meilleur roman de Tremblay depuis de nombreuses années. N’ayant rien lu de Tremblay depuis La nuit des princes charmants (2000) et considérant que Tremblay publie un livre par année, j’avoue être mal placée pour en juger. C’est un roman qui a ses faiblesses, la principale étant que Tremblay a tendance à «s’expliquer». Une phrase d’une grande beauté est suivie de son «explication» vulgarisée. Les personnages de Tremblay restent attachants et tout en nuances. La principale leçon que Nana tirera de son voyage, c’est que tout le monde a les défauts de ses qualités. Mais cette morale m’a parfois semblée soulignée à traits quelque peu trop gras.

Cela dit, c’est une belle histoire, touchante. J’ai déjà hâte de lire la suite qui portera sur la découverte de Montréal. Il est intéressant de jeter un regard sur le Canada du début du siècle, le regard d’une enfant vive et intelligente qu’on déracine malgré elle. Certaines répliques sont savoureuses et j’avoue que malgré certains irritants qui me dérangeaient pendant la lecture, après coup je conseillerais le livre et en garde un souvenir assez puissant. Il faut dire aussi que le personnage de Nana, qui est fortement inspiré de la mère de Tremblay, est mon personnage préféré de toute l’œuvre de Tremblay.

Du même auteur : Hotel Bristol New-York N.Y. , Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, Albertine en cinq temps, Encore une fois si vous permettez, Hosanna, Belles-Sœurs, Le vrai monde?, La grosse femme d’à côté est enceinte, Le cœur découvert, Douze coup de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Pièce à conviction (entretien avec Michel Tremblay)

Par Catherine

Extrait :

Toute la famille s’installe donc sur le grand banc de bois qui longe une bonne partie du mur de la gare, face à la porte numéro un – la seule – qui sonne sur le quai numéro un – le seul. Ils sont assis bien droits, les filles les mains posées sur les genoux comme le leur a enseigné leur grand-mère, Méo bourrant sa pipe après avoir essayé de faire des signes amicaux à monsieur Sanschagrin qui n’a pas répondu – c’est bien beau de créer des liens autour d’un verre de gin au magasin général, les soirs d’hiver, mais ici c’est le travail ! -, Joséphine plongée dans ses pensées. Ils pourraient se faire des adieux déchirants, ils en auraient même le besoin, mais le moment arrivé, ils ne peuvent pas, ils restent tous les cinq cloués à leur banc, silencieux et moroses. Ils regardent chacun à leur tour la grande horloge accrochée au-dessus du guichet. L’heure approche, monsieur Sanschagrin est sorti de sa cage et enfile sa casquette de chef de gare. Avant de sortir sur le quai, au moment où il allait porter son sifflet à sa bouche, il se tourne vers la rangée de Desrosiers qui le regardent comme s’il était un bourreau et crie à tue-tête alors qu’il n’y a que cinq personnes dans la gare :
All aboard ! Prochain arrêt Saskatoon, next stop Saskatoon! Allll aboard!

couverture
Éditions Léméac/Actes Sud - 284 pages