Charles Balanda est architecte. Il passe sa vie entre deux avions, au côté d'une femme élégante et d'une fille adoptive en pleine crise d'adolescence. A priori, tout va bien pour lui. Sauf qu'il Ne supportait plus ce qu'il était devenu : un homme complaisant. Dès les premières pages, on sent que l'homme est confus, perdu dans un costume devenu trop grand pour lui. Alors, quand au détour d'un repas de famille, il trouve sur la console une lettre sortie du fond des âges lui annonçant la mort d'Anouk, le sol s'ouvre sous ses pieds.

Retour en arrière. 40 ans plus tôt. Le petit Charles s'est pris d'amitié pour son voisin Alexis, mais surtout pour la mère de ce dernier, Anouk. Il y a dans cette famille un souffle de folie, une respiration comme nulle autre pareil. Charles est sous le charme. Mais que s'est-il passé dans l'intervalle? Comment l'adulte a-t-il pu à ce point s'éloigner de l'enfant qu'il était?
La consolante est donc le récit d'une crise de milieu de vie. Charles regarde derrière lui pour construire son futur. Il a le besoin impérieux de se réconcilier avec son passé, mais le présent lui réserve d'autres surprises.

Je pense réellement que beaucoup des lecteurs d'Anna Gavalda risquent d'être décontenancés à la lecture de La Consolante. Si Ensemble c'est tout était un roman extrêmement fluide et facile à lire, Anna Gavalda a décidé ici de surprendre tout le monde. Pourtant, elle nous l'annonce très tôt à travers la bouche de son protagoniste principal :

Parce que les mots, bon sang, les mots... Je n'ai jamais su m'y prendre avec eux. Je n'ai jamais eu, la panoplie....
Jamais.

Soit. Nous sommes prévenus. Comme dans ces précédents romans, Anna Gavalda use et abuse des virgules, retours à la ligne et points de suspension. Mais ce à quoi elle ne nous avait pas habitués, c'était la scansion des phrases, phrases souvent nominales ou infinitives d'ailleurs, et l'absence répétée, presque lancinante, des sujets :

En revenant, chercha des prises pour recharger ses différentes batteries, jeta sa veste en travers du lit, défit les premiers boutons de sa chemise, s'accroupit, resta un moment perplexe dans la clarté froide du minibar, puis revint s'asseoir auprès de son vêtement.
Sortit son agenda.
Fit semblant de s'intéresser à ses rendez-vous du lendemain.[...]

Bien sûr, ce rythme très particulier traduit l'état de confusion mental de Charles Balanda; ses pensées sont désorganisées, passant souvent du coq à l'âne, affectionnant les marches arrières de peur d'avancer trop vite. Anna Gavalda elle-même semble parfois agacée par les hésitations de Charles :

Vas-y. Finis ta phrase. Qu'est-ce que tu ferais, mon con? T'irais gratter pour la sortir de là? Tu lui épousseterais sa jupe et la prendrais dans tes bras?
Inutile. Il ne nous entend pas de toute façon.[...]

Nous ne t'avons pas suivi jusque-là pour faire demi-tour à Rambouillet.
Pourquoi toujours cogiter? Vivre en maître d'œuvre, tirer des plans, maquetter, échafauder, calculer, anticiper, prévoir? Pourquoi, toujours, ces servitudes? Tu disais tout à l'heure que tu ne craignais plus rien...
Je mentais.
De quoi as-tu peur?

Malheureusement, même si la façon d'écrire cette histoire correspond à l'état mental du personnage principal, c'est aussi la raison pour laquelle beaucoup de lecteurs risquent d'être déçus. Car autant le dire tout de suite, lire La consolante dans son intégralité se mérite.
Il faut en effet s'attendre à un début de lecture laborieux. Pendant les 250 premières pages, rien n'est fluide, tout est effort. Il faut s'accrocher, s'écorcher aux mots, et résister à la tentation de tout abandonner.
L'auteur elle-même doit en être consciente, puisqu'elle émaille son récit d'interventions expliquant l'écriture :

Peut-être qu'il aurait continué de vivre ainsi mais en plus léger. Peut-être qu'il aurait viré les virgules et se serait donné le mal de revenir à la ligne plus souvent.
Peut-être qu'il nous aurait encore sorti ses conneries de respiration...[...]

Bientôt, les jours ne lui avaient jamais plus semblé si longs et les énumérations qui précèdent reprirent, scandées, toujours, par la même litanie de verbes au passé simple. (Les valeurs du passé simple, souvenez-vous, aspect ponctuel, non prise en compte de la durée, expression de la successivité.) Il fut, il dut. Il fit, il dit, il admit. Il alla, il observa, il trancha.

250 pages donc pour pouvoir faire en partie abstraction du style et s'attacher enfin aux personnages que l'auteur nous propose. Les 350 pages restantes, sans être hypnotisantes, offre malgré tout de jolis moments. Notamment parce que Charles cède son rôle de narrateur à d'autres.
Parmi la palette des personnalités qui composent cette histoire, certains m'ont particulièrement émue : c'est le cas de Nounou, Yacine ou encore Nedra. Mais leurs interventions sont trop brèves dans le roman, et comme le souligne Solenn, on aurait presque aimé qu'Anna Gavalda leur consacre à chacun un roman à part entière.

Comme je le disais en début de billet, ce que j'appréciais chez Anna Gavalda, c'est le soin et la générosité qu'elle portait à ses personnages d'encre, et non son style. Or ici l'écriture a fini par étouffer les personnages. Trop lourde, trop prégnante, elle finit par occulter ce qu'il peut y avoir de beau et d'émouvant.
Sur la fin du roman Anna Gavalda s'invite une fois de plus dans le récit et nous donne la définition d'une ellipse : "Un récit elliptique observe strictement l'unité d'action, évitant tout épisode oiseux, rassemblant tout l'essentiel en quelques scènes" (p.555). Sans aller jusque-là, j'aurais peut-être finalement aimé moins d'atermoiements, moins de détours inutiles et confus. J'ai bien conscience que dans ce cas-là, le projet aurait été tout autre, puisqu'il s'agissait ici de retranscrire les errements de Charles Balanda. Un récit différent certes, mais auquel j'aurai sans doute adhéré plus facilement.
Anna Gavalda a peut-être été lassée d'entendre qu'elle n'avait pas de style et a voulu démontrer le contraire dans ce dernier roman. Mais la sauce ne prend pas. Et puis à quoi bon? Pourquoi vouloir absolument faire du style pour du style? Quel mal il y a-t-il à écrire des histoires généreuses et simples?
Je ressors donc plus que mitigée de cette lecture. Même si certains passages réussissent à soulever la chape de plomb d'une écriture définitivement trop présente, cela n'a pas suffit à me tenir en haleine. Le temps passé auprès de Charles m'a paru long... trop long.

Lire aussi les avis de : Solenn, Cathulu et Cuné.

Du même auteur :
Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part
L'échappée belle
Je l'aimais
Ensemble c'est tout

Extrait :

En prenant son ordinateur dans son cartable, vit que Claire avait essayé de l'appeler plusieurs fois. Grimaça.
Se fit un café et s'installa dans la cuisine.
Au bout de quelques clics, le localisa. Vertige.
Dix chiffres.
Dix chiffres seulement les séparaient alors qu'il avait mis tant d'âpreté, et de jours, et de nuits, à élargir le gouffre.
Que la vie était facétieuse... dix chiffres pour une tonalité. Et décrocher.
Ou raccrocher.
Et comme sa sœur, se rudoya. Sur son écran s'affichaient à présent les détails du parcours qui pourrait le mener jusqu'à lui. Le nombre de kilomètres, les sorties d'autoroutes, le prix des péages et le nom d'un village.
Prenant ces frissons pour prétexte, alla chercher sa veste et sous prétexte de l'avoir sur les épaules, sortit son agenda. Chercha les pages inutiles, celles du mois d'août par exemple, et nota les grandes lignes de cet improbable voyage.
Oui... En août peut-être? Peut-être... Il verrait...
Nota ses coordonnées de la même marnière : en somnambule. Peut-être qu'il lui écrirait un mot, un soir... Ou trois?
Comme lui.
Pour voir su la guillotine fonctionnait toujours...
Mais est-ce qu'il en aurait le courage? Ou l'envie? Ou la faiblesse? Espérait que non.
Referma son carnet.

couverture
Éditions le Dilettante - 632 pages