Déjà passablement éméché, il entre dans une taverne où il rencontre un homme prétendant être Miguel de Cervantès y Saavedra. Rien de moins ! La nuit va s'écouler à un rythme effréné, ponctuée par les propos pour les moins étranges, fantasques du fameux Cervantès.
Le vrai ou un faux ? Telle est la question que l'on se pose jusqu'au dernier moment. Dans un dialogue tirant plus du monologue, car il fait peu de cas des réactions de l'écrivain, ce personnage emblématique se désole de ce que le public l'assimile toujours à son personnage, Don Quichotte, dont on ne garde que l'image d'un clown.

Voici une nouvelle au rythme enlevé, étrange, que l'on pourrait même mettre dans le genre fantastique. Une histoire captivante, où la frontière entre le réel et l'imaginaire est fort ténue. On se laisse aisément emporter par cette relation insolite entre les deux personnages.

Après la lecture d'une autre nouvelle, Le lecteur de Patricia Martin-Deffresnnes, je sens que je vais étudier très sérieusement le catalogue des Éditions de l'Atelier In8, pour savoir s'ils ne cachent pas encore d'autres petites pépites de ce genre.
A lire, à découvrir !

Du même auteur : La grande mer, La voie ferrée

Dédale

Extrait :

Rue de la Huertas. La taverne était bavarde. Un brouhaha, là-dedans, qui débordait sur la rue. Le comptoir entièrement assiégé par les buveurs. Toutes les tables étaient occupées, sauf la plus petite, dans un angle malcommode où luisait une bougie. Le poste d'observation me convenait parfaitement. Solitude. Point de repli, éminence, poste de gué, selon les états d'âmes.
Avant de m'installer, je commandai une bouteille de vin de la Mancha dont je ne veux me rappeler ni l'étiquette ni le bouquet, puis, me retournant, fus surpris de constater qu'un homme venait d'apparaître à la place que je briguais. Nos regards se croisèrent, il comprit ma surprise et m'invita d'un geste à prendre place en face de lui.
Je demandais un deuxième verre à un serveur qui passait par là en jouant du plateau comme un artiste de cirque. Le visage de cet individu inopinément tombé de nulle part reflétait les cuivres de mille soleils. Un regard sombre, inflexible. Sourcils embrouillés et blancs. Une barbe à l'ancienne et des cheveux de nacre, longs, bouclés, portés libres sur la nuque. Son corps, fortement charpenté, dégageait une puissance encore spectaculaire, malgré une très légère voussure des épaules qui en disait long sur son âge. Je pris place avec une décision inhabituelle, tant il me semblait que l'on ne pouvait aborder un tel personnage tête basse et gestes négligés. Il intimait le respect par sa seule prestance, mais c'est elle aussi qui vous obligeait à une attitude digne. Sans tarder, il fait claquer son verre vide sur la table, me signifiant que la soif le tiraillait.
« Les hommes seuls se rencontrent dans les tavernes, mon cher, vous n'êtes pas d'ici ! Ce lieu n'est fréquenté que par des habitués, j'y viens moi-même depuis des siècles ! »
J'examinai avec une attention plus soutenue son visage, pour y déceler les stigmates de l'alcool ou de la folie. Rien de cela. Il s'amusait de mon air interloqué.

une nuit à Madrid
Éditions de l'Atelier In8 – 33 pages