Marie est un belle jeune femme qui a eu le tort de tomber amoureuse de l'homme qu'il ne faut pas : Eli est en effet déjà marié, et Marie ne supporte pas de jouer les seconds couteaux. En fait, l'histoire pourrait se résumer à ces quelques mots, mais ce serait occulter l'essentiel de ce roman.
Mais alors de quoi parle ce récit?

Ce qui est au centre de l'ouvrage de Tiffany Tavernier, ce sont nos pulsions et nos comportements addictifs. La drogue de Marie, c'est Eli. Elle sait que rien n'est possible et qu'ils jouent ensemble un jeu dangereux. Il ne vient que le soir, pour la baiser avant de repartir bien vite auprès de sa femme. Aucun futur n'est envisageable. Et pourtant, Marie ne peut « décrocher »; pire, elle se dissout et s'oublie dans cette relation destructrice et toutes ses tentatives de « désintox » se soldent par un échec, trop contente qu'il la rappelle. Ne vivant que par lui et pour lui, elle perd tout sens de la réalité. Au fil des pages, la comparaison avec une junkie se fait de plus en plus tenace. Marie va même jusqu'à se faire souffrir pour oublier la douleur. Apparaît alors la seule façon de s'en sortir : tuer l'autre, faire disparaître l'objet de son addiction.

C'est là que la nourriture entre en jeu. Le parallèle est ici non seulement intéressant mais pertinent. Bien sûr, Tiffany Tavernier réussit merveilleusement bien à rendre les passages culinaires extrêmement sensuels et charnels, mais elle n'est après tout pas la première à y avoir pensé. Il n'y a qu'à relire quelque-uns de nos classiques, revoir certains films, ou même repenser à ces instants presque orgasmiques que l'on a pu vivre en mangeant des mets exceptionnels, pour savoir que la nourriture a toujours eu un capital érotique très fort.
Là où Tiffany Tavernier est intelligente c'est qu'elle ne se contente pas de ce simple parallèle justement. Marie passe d'une drogue à une autre; la nourriture comme produit de substitution. Il y a quelque chose d'excessif dans sa façon de préparer ses repas et en même temps, sa relation aux aliments est bien plus douce et apaisante que ses rapports avec Eli. Il y a un sentiment d'apaisement, de calme, quand enfermée dans sa cuisine, elle prépare avec soin sa vengeance.


Certains ont trouvé ce roman trash, et pourtant il m'a semblé justement que Tiffany Tavernier ne sombrait jamais dans la facilité. Vue la teneur de son récit, les mots ne pouvaient être que violents, dépouillés de tout enrobage et convenance. Dire la crudité des rapports en appelant un chat un chat et une chatte une chatte, ne me semble pas trash mais simplement honnête et cohérent. Tiffany Tavernier n'avait d'autre choix que de décrire cette sexualité border-line pour soutenir son propos. Évidemment, certaines scènes sont particulièrement brutales et dérangeantes, mais d'autres, loin de me choquer  m'ont parues, au contraire, fortement érotiques. D'un érotisme sans tabou ni faux semblant, mais d'un érotisme patent. En tout cas, je n'ai pas trouvé ce roman, comme j'ai pu le lire par ailleurs  « malsain » ou « vulgaire ».
Alors bien sûr, je déconseillerais ce roman à tout ceux qui craignent les scènes de sexe trop clairement explicites, mais pour tous les autres, je ne peux que vous inviter à découvrir ce roman puissant et édifiant.

Ce roman a été lu dans le cadre de l'opération Babelio.

Voir aussi l'avis de Cuné et Ys, qui ont apprécié, et celui plus réservé d'Amanda.

Laurence

Extrait :

Depuis combien de mois dure cette histoire ? Marie n'est plus la même, cédant à chaque fois, se laissant « sauter » comme il dit. Et ce trouble qui la remplit à l'instant du cri qu'elle ne pousse pas. Il plaque la main sur sa bouche, « tais-toi ! ». Ce sentiment de plénitude. « Tais-toi ! », pour s'enfoncer une dernière fois en elle, se retirer puis éjaculer encore et encore, dans le creux de son dos.
[...]
Voilà, il est parti, elle peut mourir; décider de ne plus jamais allumer la lampe, cambrer le dos jusqu'à connaître la vraie douleur, empoigner ses propres cheveux et les tirer sans grâce, hurler sans lui, se mordre les poings puis se taire, oh draps, ses yeux gris-violet, sa chevelure noire, sa peau laisteuse aux grains à peine vieillis, ce qu'elle est belle !


Éditions du Seuil - 139 pages