Madame ! Encore une drôle de femme ! Madame, celle qui résiste encore aux promoteurs immobiliers qui en veulent à son bout de terrain si bien placé, car le seul offrant un accès direct à la mer. Madame ! Une femme aux mystères, si aérienne, un peu dérangée pour certains, aux vêtements étranges cousus main dans de vieux tissus aux couleurs bigarrées. Madame croit à la magie même si cette dernière lui refuse le grand amour qu’elle attend depuis si longtemps. Même si Madame collectionne les amants, elle reste en manque d’amour.

Et puis il y a aussi bien d’autres personnages tout aussi attachants. Notamment, la narratrice, une jeune fille de quatorze ans toute dévouée à Madame et qui peine à devenir femme. Peut être est-ce le fait de côtoyer une femme si singulière, la jeune fille vit aussi dans son monde. Elle semble être la seule à entendre le battement d’ailes des anges, lorsqu’ils viennent au cœur de la nuit. Que dire aussi de son grand-père, le seul à rabrouer Madame quand elle s’oublie un peu trop comme le ferait des vieux amis ?

J’aime définitivement la plume de Milena Agus, sa sensibilité, son intérêt pour ces êtres différents, décalés, dérangeant car ils sont capables de vivre leur monde à eux. C’est singulier, frais, plein de tendresse sans pour autant oublier l’acidité de certains moments de la vie.

Une très bonne lecture, légère et belle comme le battement d’ailes des plus beaux papillons.

Du même auteur : Mal de pierres et Mon voisin

Dédale

Extrait :

Madame est très attentive au bonheur des gens, elle croit à la magie et lit dans les tarots pour tous les clients de sa maison d’hôtes afin de connaître leurs besoins et de les satisfaire, sauf que les cartes donnent des réponses trop difficiles, alors elle n’utilise que la valeur des nombres. Par exemple, pour des couples elle dresse la table selon le nombre quatorze, la Tempérance, l’union entre deux éléments séparés, quatorze raviolis, quatorze gâteaux, quatorze louches de potage. S’il s’agit de femmes seules, le Chariot, sept gâteaux, sept raviolis, plus gros, sept fourchettes de spaghettis, parce que le sept est l’amant et que cette magie peut l’attirer si besoin est. Elle leur associe souvent le trois, l’Impératrice, - par exemple au petit déjeuner : café, lait et chocolat -, parce que le trois est le chiffre de l’explosion créatrice et que, dans les relations amoureuses, une maîtresse aide l’homme à se sentir bien dans son foyer ; ce n’est pas idéal, mais c’est mieux que rien. Le six, l’Amoureux, est lus intéressant, même si c’est un amoureux qui veut tout pour lui parce qu’il ne sait pas choisir. Mais si vous ajoutez un trois – par exemple trois couverts : fourchette à dessert et deux petites cuillères, une pour le sucre en poudre et une pour le café -, alors le six devient neuf, et le neuf est l’Ermite, et, selon Madame, il n’y a rien de pire que la solitude, même éclairée, donc il faut absolument s’arrêter à huit, la Justice, la perfection. En outre, les verres ne doivent pas rouler sur la table, ni se casser, et il ne faut pas croiser les couteaux non plus. Concernant le dix-sept, l’Etoile, Madame se montre prudente. Il signifie générosité, altruisme, mais comme la superstition veut que le dix-sept porte malheur, Madame préfère ne pas s’y fier. Mieux vaut, et de loin, le dix-neuf, le Soleil.

Les clients de la maison d’hôtes l’ignorent et mangent en toute inconscience quatorze boulettes ou dix-neuf raviolis, ou six gâteaux qui, en réalité, répondent à un plan conçu par Madame pour leur bonheur.


Liana Levi – 2008 – 155 pages