Dans un atelier New-Yorkais, l'artiste Jerry Kho se réveille après une nuit de création un peu particulière; il attend son agent et la dose de poudre nécessaire au démarrage de sa journée. Mais en lieu et place de l'agent, c'est un fantôme vêtu d'un survêtement gris et souffrant d'une légère claudication qui se présente à lui. Jerry Kho vient de voir le soleil se lever pour la dernière fois et sert à son tour d'objet pour une œuvre d'art macabre.

Jordan Marsalis, ancien flic de la police New-Yorkaise et oncle de la victime est immédiatement dépêché sur les lieux. Jerry Kho est non seulement son neveu mais aussi le fils du maire de la ville. Priorité donc absolue à cette enquête. D'autant que Jordan se doute, au vu du modus operandi, que le jeune homme n'est que la première victime d'une longue liste.

De l'autre côté de l'océan, Maureen Martini, commissaire de police à Rome, se réveille dans une chambre d'hôpital. Victime d'un horrible massacre, elle a perdu la vue et seule une opération chirurgicale à New-York par un grand ponte a une chance de fonctionner. Elle rejoint donc la ville de New-York, des fantômes dans ses valises. Mais la greffe de cornée tant attendue va avoir des effets secondaires inattendus : voilà que Maurenn voit des images stockées par le donneur...

OK. Le coup de la fille aveugle qui voit les épisodes vécus par son donneur a déjà été traité au cinéma et en littérature, l'idée de départ n'a donc rien d'original. De même que la construction narrative qui alterne les points de vue. Mais Giorgio Faletti mène bien sa barque et son intrigue est suffisamment bien construite pour que le lecteur se perde en conjonctures sans jamais réussir à réellement démêler le faux du vrai avant que l'auteur ne l'ait décidé. Je regrette cependant le côté « didactique » du dénouement, à la façon des vieux polars, où l'on vous refait le film en complétant les trous.

Ce que j'aime le plus chez cet auteur, ce qui à mon sens le distingue des autres, ce sont ses personnages et sa façon d'agencer les chapitres. Giorgio Faletti est au départ un célèbre comédien italien, et l'influence cinématographique est très présente dans le récit. Il y a ainsi, en ouverture du roman, une chanson qui lui servira de leit-motiv tout au long de la narration : un chapitre se clôt dans un restaurant où passe la chanson, le suivant s'ouvre sur la suite de la mélodie dans une voiture. On imagine très bien les fondus-enchaînés et les mouvements de caméras.
Mais il y a surtout les personnages et leurs ambiguïtés; leur nature profondément humaine et complexe. Jordan, le personnage principal, va suite à un concours de circonstance, partager son appartement avec la troublante Lysa. Elle est d'une beauté époustouflante, mais elle est deux, femme et homme prisonniers d'un même corps. Il n'est déjà pas fréquent dans un roman de voir évoluer un hermaphrodite, mais quand elle s'appelle Lysa et qu'elle est aussi belle, on oublie cette dualité et l'on espère que Jordan fera de même. Voilà où Giogio Faletti est très fort; il parvient à nous faire oublier ce que d'autres s'empresseraient de rendre salace. Lysa est simplement une femme  que l'on aimerait connaître.

Un second roman moins palpitant que le premier, mais peut-être plus émouvant et humain. 

Laurence

Extrait :

Jerry poussa grand le battant. Devant lui, un homme, enveloppé dans la pénombre du palier. Sous l'éclairage défectueux, Jerry ne peut reconnaître le visiteur. Il ne s'agissait pas de LaFayette Johnson, car la silhouette était un peu plus grande.
Quelques instants de silence – l'un de ces moments où le temps semble suspendu, comme lorsque le vent arrête de souffler juste avant que tombent les premières gouttes de pluie d'un orage d'été.
- Bonjour, Linus. Tu ne veux pas inviter ton vieil ami à entrer?
Cette voix plongea Jerry dans des ténèbres qui n'étaient plus celle du palier mais remontaient à un milliers d'années et de brouillards plus tôt. Bien qu'il ne l'eût pas entendu depuis une éternité, il la reconnut immédiatement. Dans les brumes de la drogue, Jerry Kho avait plus d'une fois imaginé sa propre mort – la seule certitude des hommes. Il avait souhaité ce dont rêve tout artiste : pouvoir la composer lui-même, choisir sa couleur et la toile qui lui servirait de suaire.
Quand l'homme sur le palier s'avança dans la lumière de l'appartement, Jerry eut la conviction soudaine que la réalité ne tarderait pas à dépasser tous ses fantasmes.


Éditions J'ai lu – 535 pages