Avant d'en venir à mon « sauf que... », parlons déjà du récit en lui-même.
Le narrateur, un certain Julien donc, est totalement étouffé par sa mère. Comme le dit Danniel Pennac dans Chagrin d'école « toutes les Juives ne sont pas mères, mais toutes les mères sont juives ». Et bien la mère de Julien un monstre d'amour et de possession. Elle a tous les défauts que l'on peut imaginer : radine, ambitieuse par procuration, intrusive, exclusive, hyper-protectrice, victime. C'est bien simple, le petit Julien ne peut pas faire un pas hors de l'ombre maternelle. En grandissant, Julien décide alors de mettre des kilomètres entre la maison familial et lui. Il poursuit ses études à Strasbourg. Mais la distance n'est rien pour une mère inquiète... d'autant plus si des jupons apparaissent et menacent de lui voler son fils. Il faudra alors un mot définitif, sans retour possible, pour que Julien puisse enfin couper ce cordon qui l'étrangle depuis la naissance.
La figure du père sans être totalement absente, est assez effacée. Et pourtant, on comprend combien cet homme aime son fils; mais face à l'omniprésence de la mère, il se fait discret. Par deux fois, il sortira de sa réserve et l'on découvre alors un homme sensible et touchant.

Dans ce très court roman, Julien Almendros réussit avec beaucoup d'humour à dresser un portrait au vitriol de cette femme tyrannique tout en mettant en exergue les sentiments ambigus du fils. Car malgré la verve de la charge, on sent bien que le narrateur éprouve de la tendresse pour cette gorgone. C'est un récit dynamique et enlevé, habilement entrecoupé par une narration qui emprunte les codes théâtraux, dans lequel on reconnaîtra peut-être certaines anecdotes familiales, quelques traits de caractère (je vous souhaite tout de même qu'il n'y ait pas trop de point commun entre vous et cette famille).

Et l'on arrive à mon « sauf que ... » en introduction de ce billet. Voilà tout ce que je voulais vous dire en lisant ce récit. « sauf que » en arrivant au terme de ma lecture, je tombe sur l'épilogue. Normal, me direz-vous, il serait étrange de placer un épilogue en début de récit. Certes. Mais ce que Julien Almendros dit en seulement 3 pages donne une nouvelle dimension au récit, bien au-delà de ce que l'on pouvait redouter.
Je l'avais trouvé drôle et caustique, je l'ai découvert cynique et cruel. Mais une cruauté salutaire, habile et délicieusement perverse. Non, Julien Almendros, qui signe ici son premier roman, n'est pas un gentil fils à maman, mais c'est une plume qu'il faudra suivre avec attention. Une très belle surprise en cette rentrée littéraire qui commence.

Laurence

Extrait :

Elle prenait son rôle très à cœur. Prévoir, anticiper, savoir ce que l'on pourrait faire. Organiser, planifier, savoir comment il faudrait faire. Maîtriser, décider, savoir ce que les autres devraient faire. Quelqu'un devait se charger de ces tâches ingrates. Elle s'était dévouée. Et nous finirions bien par en mesurer les bénéfices. Un jour, nous la remercierons.

Tenir une maison, gérer le budget, élever deux enfants et un chien, c'est un travail à temps plein. Ma mère ne travaillait pas. Elle nous consacrait tout son temps. Elle y mettait tant d'application, tant de science, elle se donnait tant qu'elle n'avait plus un instant pour elle. Et c'était bien là notre plus grande contrariété : elle était toujours là, nous y étions aussi.


Éditions Le Dilettante - 125 pages