Bravant toutes les conventions, Stella se jette dans cette passion, allant jusqu'à rejoindre Edgar qui s'est enfui de l'asile. Commence alors une phase bien plus sombre de leur amour où la jeune femme, refusant de reconnaître les signes pathologiques chez son amant, va connaître une déchéance à la fois sociale et psychologique, acceptant d'Edgar l'artiste sculpteur, les crises de jalousie et les coups.

Lui-même fils de psychiatre et ayant grandi près d'un hôpital psychiatrique, Patrick McGrath sait de quoi il parle quand il décrit des malades mentaux. Avec un narrateur médecin, il peut se permettre des descriptions cliniques des individus, mais aussi de l'établissement et de la médecine en générale, sans pour autant plomber son récit. Mais pour être médecin, il n'en est pas moins homme et c'est avec talent que McGrath amène son lecteur vers un tout autre point de vue, dont je ne vous dirai rien sous peine de vous gâcher le plaisir. L'auteur brouille avec habileté les pistes de la folie où rien n'est joué d'avance, surtout pas quand elle se mêle d'art et d'amour.
Cette lecture n'est donc pas des plus légères, puisqu'on assiste à l'inexorable déchéance de Stella, femme, maîtresse et mère impuissante qui sombre et s'abandonne à l'indifférence au vide, jusqu'au pire.

Patrick McGrath est par ailleurs connu pour être le fondateur du mouvement littéraire dit néo-gothique qui reprend les thèmes de la littérature gothique anglaise (Radcliffe, Walpole...) sans l'attirail fantastique, mais en privilégiant les états psychologiques fragiles, la peur et, en règle générale, une démarche psychanalytique. A la fois héritier de Poe et de Freud, ses écrits peuvent engendrer un certain malaise car ils expriment la déchéance et le délabrement psychiques.
Il est aussi l'auteur de Spider adapté au cinéma en 2003 par David Cronenberg.

Ys

Extrait :

Elle était là dans ses bras, leurs vêtements épars sur le sol. La pendule de la table de nuit marquait onze heures moins dix. Sans perdre son sang-froid, elle regarda la vérité en face : il était évident qu'elle cherchait à tout prix à se faire prendre. Elle savait qu'un instinct universel nous pousse à vouloir proclamer la vérité, quel que soit le prix à payer. Ou bien on se consume. C'est certainement ce qu'elle ressentait à ce moment-là. Quelle sensation merveilleuse ça aurait été d'annoncer à Max, à moi, à nous tous, qu'elle était amoureuse d'Edgar et ne supportait plus de le cacher. Mais elle avait encore assez de maîtrise d'elle-même pour n'autoriser ce sentiment à faire surface que quelques secondes ; les questions pragmatiques ne sont jamais bien loin dans les pensées des amants clandestins.


Éditions Folio - 330 pages