Histoire prenante que ce que vont vivre Matteo, Guiliana et leur fils Pippo. « Au lendemain d'une fusillade à Naples, Mateo voit s'effondrer toute raison d'être. Son petit garçon est mort. »

Cette une histoire présentée sous trois facettes, celle d'une mère Guiliana, qui passé le temps de l'hébétude, maudit la terre entière, lance des anathèmes et sème des petits papiers partout où elle demande qu'on lui rende son fils. C'est sa colère, sa terrible, impossible sentence à l'adresse de son mari : « amène moi Pippo ou, si tu ne peux pas, apporte-moi au moins la tête de celui qui l'a tué. »
Voyant que son vœu ne sera pas exaucé, elle décide un jour d'oublier son enfant, de quitter son mari, de tout laisser ; comme si la vie qu'elle a connue avec ses deux amours n'avait jamais existé. C'est vraiment un des moments forts, vraiment terribles de cette lecture.

Puis il y a Matteo, le père en perdition. Il a perdu son fils. Il a aussi perdu sa femme tant ils sont tous les deux noyés par leur peine, leur douleur immense. Matteo est un père inconsolable, rongé par la culpabilité de n'avoir pas pu dire à son fils mort entre ses bras qu'il l'aimait, qu'il l'aimera toujours, de n'avoir pas pu l'étreindre encore une dernière fois. Mais c'est aussi un père qui tentera tout pour retrouver son fils.

C'est aussi Filippo, le fils disparu dans la fusillade qui revient des Enfers pour retrouver ses parents, son assassin. Son aventure est d'autant plus frappante car l'auteur a choisi ici une narration qui place le lecteur dans le corps d'un revenant. On suivra ses pensées, ses interrogations, les souvenirs affreux qui le hantent toujours depuis son séjour en bas.

Bien évidemment, qui dit porte des enfers dit descente dans l'antre de la Mort. Effrayante description de cette descente aux Enfers, si prenante, si réaliste que l'on s'y croirait (dans la mesure où l'on croit à son existence bien évidemment. Mais ceci est une autre histoire). Il y a des passages poignants durant ce voyage peu ordinaire. Sans tomber dans le pathos, l'auteur nous dresse un tableau saisissant de ces mythiques, mystérieux Enfers. On ne peut qu'être touché par les lieux. On entre avec Don Mazerotti et Matteo dans un monde fantastique, hors du commun, de la réalité. Comment ne pas frémir lorsque les deux hommes traversent le bois hurleur ou celui plus sensible encore, le bois sanglant : bois où les ombres laissent derrière elles les restes des vivants qu'elles ont emportés avec elles. Âmes sensibles sortez les mouchoirs !! On ne peut qu'avoir encore une fois une pensée pour nos propres disparus. Les propos de l'auteur résonnent.

La porte des enfers est un roman riche par le sujet et surtout la façon de le traiter. Riche également de ses personnages secondaires, mais pourtant essentiels. On retrouve là encore le goût de l'auteur pour les personnalités pleines d'humanité.

Les hommes qui vont chacun à leur manière accompagner Matteo dans son épreuve sont le curé Don Mazerotti, le professore, Garibaldo, Grace, cinq portraits intéressants qui auraient pu chacun faire l'objet d'une histoire. Quand on connaît un peu les écrits de L. Gaudé, on ne peut manquer de faire le parallèle avec les réunions entre amis dans la nouvelle Dans la nuit du Mozambique. Même ambiance, des hommes liés, venus d'horizon différents et partageant un moment simple et fort à la fois, comme coupés du monde. Ces hommes là seront liés à jamais par cette soirée, par l'histoire de Matteo et Pippo.

Vous l'aurez compris, La porte des enfers est un roman fort. Le sujet est périlleux mais fort bien traité, bien développé sans pour autant que l'on ressente la moindre longueur inutile. Un petit bémol que je note pourtant - mais il m'est propre bien évidemment  -  je suppose que la douleur de la mère est si immense qu'elle s'est muée en colère, désir de vengeance. Quand vers la fin de l'ouvrage on retrouve Guiliana, là où elle a décidé de disparaître du monde, elle réalise combien elle s'est coupée de tous et de tout. Elle a tout perdu, non seulement son fils mais également son époux. Elle les a abandonnés. Je l'ai trouvé trop "mystique" à mon goût. Mais face à la douleur extrême, chacun trouve sa bouée où il peut pour ne pas chavirer totalement trop tôt, trop vite.

Quelle joie de retrouver avec délices, même sur un sujet si grave, la musique de Laurent Gaudé. C'est pour moi un excellent conteur. Nous raconter les enfers, la mort et nous faire revenir du néant avec l'espoir, voilà une belle prouesse.

Du même auteur : Ouragan, Dans la nuit du Mozambique, Onysos le furieux / Sodome, ma douce / Cendres sur les mains, La mort du roi Tsongor, Sofia Douleur, Salina, Pluie de cendres, Combats de possédés, Le soleil des Scorta, Cris, Kaboul, Médée Kali, Les oliviers du Négus, Pour seul cortège.

Dédale

Extrait :

Matteo ne le dit à personne, pas même à Giuliana,mais il vivait toujours la même journée. Il était toujours au même endroit, au coin de la via Forcella et du vicolo della Pace. Il ne parvenait pas à quitter ce trottoir. Il y passait des heures en pensée. Tout défilait sans cesse. La journée telle qu'elle s'était passée, la journée telle qu'elle aurait pu passer, les infimes et microscopiques changements qui auraient pu faire qu'elle ne se passe pas comme elle s'était passée. S'il avait marché un peu moins vite. S'il n'avait pas garé la voiture pour poursuivre à pied, ou s'il s'était garé ailleurs. Il lui aurait suffi de changer de trottoir, de passer du côté ombre – comme l'idée 'avait effleuré – ou de prendre le temps de s'agenouiller pour refaire le lacet de Pippo qui le lui avait demandé... Quelques secondes, chaque fois, auraient suffi, pour qu'ils soient ailleurs de quelques centimètres. Quelques secondes d'avance ou de retard et la trajectoire de la balle était évitée. Des événements dérisoires, une voix que l'on croit reconnaître et qui lui aurait fait marquer un temps d'arrêt. Une vespa qui déboule et qui les aurait obligés à faire un pas en arrière. Mais non. Tout avait concouru à la rencontre terrible du corps et de la balle. Quelle volonté avait voulu cela ? Quelle horrible précision dans le hasard pour que tout convergeât ainsi. Etait-ce cela que l'on appelait le mauvais oeil ? Et, si, oui, pourquoi les avait-il choisis, eux, ce jour-là ? Par ennui ou par désir de jouer un peu ?


Éditions Actes Sud - 267 pages