Pas de grands retournements de situation, de péripéties, mais le portrait d'un homme incapable de prendre des décisions - du moins le croit-on au départ. Il était mathématicien, fou amoureux d'une enseignante, et n'a su conserver ni l'un ni l'autre. Aujourd'hui il attend, tout et rien. Il se laisse porter par ses amis, et les jours défilent sans qu'il ose jamais se prononcer de façon ferme et définitive. Le narrateur, prisonnier de ses souvenirs, se montre incapable d'être au présent. Tel un homme pris dans la tempête qui a renoncé à se battre, il regarde sa vie lui échapper peu à peu.

Comme je vous l'avais dit il y a un peu plus d'un mois, la lecture de L'ordre des jours m'avait donné envie de découvrir un peu plus l'univers de Gérald Tenenbaum. Le geste est un récit bien moins linéaire que L'ordre des jours, et le lecteur, s'il ne veut pas perdre le fil et réellement pénétrer l'univers proposé ici, doit faire l'effort d'une lecture attentive et active.
Mais si l'on accepte ce précepte de départ, il y a dans Le geste une écriture singulière et poétique. L'auteur multiplie les assonance et les allitérations (Cette ville troglodyte était la proie d'un sortilège insidieux qui susurrait sourdement à tous [..]), les anaphores, les paronomases. Certains motifs, comme la couleur bleue, reviennent de manière entêtante tout au long du récit. Lentement, le lecteur est bercé par cette mélopée hypnotisante et obsédante.
Quant au récit proprement dit, il aborde des thèmes riches et douloureux. A travers le parcours de son narrateur, Gérald Tenenbaum nous parle de ce que l'on est prêt à sacrifier par amour, des dégâts du silence, du renoncement.

Un très long poème, certes parfois déstabilisant, sur l'absence, la mémoire et l'amitié, qui me confirme que Gérald Tenenbaum est aussi bien conteur que styliste.

Du même auteur : L'ordre des jours

Laurence

Extrait :

Il n'osait plus, déjà, regarder les objets en face, comme si les choses avaient une face. Mais ce qui gisait là ne devait plus accueillir le temps qui passe, ne devait plus bouger, plus respirer. Il fallait que tout reste tel quel, et que la lumière elle-même ne vienne plus ébranler ces meubles indifférents qui avaient été témoins d'elle, de ses gestes, son regard et son départ. Tant que tout resterait en l'état, elle serait encore un peu là. Presque, c'était déjà ça.
La décision était acquise, et le matin bâillait.
L'aube n'avait plus de promesse à tenir ou à cacher.
Aucun soulagement, même âcre, même amer, même râpeux sous la langue. Il avait attendu, pourtant, cette vague apaisante qui l'avait inondé, presque à chaque fois qu'il avait vu ce qu'il fallait faire, ou du moins ce qu'il allait faire, à chaque fois qu'il s'était, en un mot, vu faire ce qu'il faut.
Comme en ce jour moite de septembre, dans le grand amphithéâtre dont les murs au bleu soutenu avaient en fin d'après-midi d'étranges reflets rougeâtres.

Il suffisait de fermer les yeux, c'était hier, c'était aujourd'hui.


Éditions Héloïse d'Ormesson - 153 pages