Il y a en fait dans ce roman trois intrigues mêlées : en ouvrant le roman, le lecteur découvre d'abord un premier chapitre de roman mettant en scène Cordouan lui-même lors de la remise d'un célèbre prix littéraire. Ce dernier vient de se suicider en pleine délibération. Ces deux premières pages sont assez déconcertantes car le tout est assez maladroit dans l'écriture : les phrases sont interminables, leur constructions plutôt maladroites et la platitude des métaphores laisse perplexe. Et puis, tout s'arrête aussi brutalement que cela avait commencé, et à la page suivante, le roman Première ligne commence réellement. En fait, tout le récit est entrecoupé de premiers chapitres de roman mettant en scène le pauvre Cordouan dans des situations plus inconfortables les unes que les autres, et l'on comprend rapidement qu'ils sont l'œuvre d'un aspirant écrivain. Mais qui se cache derrière ces premières lignes? Un auteur malheureux refusé par Cordouan? Cordouan lui-même? Ou une personne à qui l'on avait pas encore pensé?

Au delà de ce fil rouge, il y a bien évidemment l'histoire de Cordouan lui-même. Cordouan est le directeur des éditions Fulmen. Chaque matin, il désespère devant la pauvreté des manuscrits qu'on lui envoie. En fait, tout cela le met furieusement en colère. Il ne comprends pas comment certaines personnes peuvent s'illusionner au point de croire que ce qu'elles écrivent puissent avoir un quelconque intérêt littéraire. C'est d'ailleurs ce qu'il explique à l'un d'eux, Martin Réal, pensant le libérer ainsi de son addiction pour l'écriture. Mais ce que Cordouan n'avait pas prévu, c'est que Martin se suiciderait dans son bureau. Dès lors, l'éditeur se sent investi d'une mission, et crée l'association des Auteurs Anonymes. Ce cercle, destiné à tous ceux qui envoient des manuscrits à tour de bras, est censé décourager ces "mauvais écrivains" et leur faire abandonner une fois pour toute leur projet d'écriture. Mais la veuve de Martin Réal ne l'entend pas vraiment de cette oreille et est bien décidée à se venger. Commence alors pour Cordouan un véritable cauchemar.

Mais ce qui est finalement le plus intéressant, plus que le récit centré autour du monde de l'écriture, c'est l'histoire d'amour entre Cordouan et sa belle et insaisissable Anita. À travers son histoire de couple, l'éditeur se révèle peu à peu comme un homme tendre, perdu et prêt à tout pour garder celle qu'il aime.

Je sors de cette lecture assez mitigée. Si j'ai effectivement apprécié le portrait de cet homme transi d'amour, j'ai aussi trouvé que l'écriture du roman n'était pas à la hauteur du projet. Par la bouche de son personnage principal, Jean-Marie Laclavetine (lui-même éditeur, je vous le rappelle) prend un malin plaisir à dénigrer la qualité des manuscrits : écriture plate, intrigue insipide, clichés en tous genres... Décidément, on a l'impression que ce pauvre Cordouan ne reçoit que ce qui se fait de pire. Des lignes et des lignes de mauvaise écriture ou, au mieux, de situations prévisibles et cousues de fil blanc. Soit. Seulement, il me semble que pour pouvoir construire un roman sur ce thème, il faut soi-même exceller au risque d'être comparé aux manuscrits que l'on cloue au pilori. Or Jean-Mari Laclavetine ne propose pas dans Première ligne une écriture novatrice, soignée ou travaillée. Et même pire, l'intrigue souffre de longueurs et d'invraisemblances.
Tant et si bien qu'à la fin de ma lecture je me suis demandé si cette diatribe contre la médiocrité des manuscrits actuels n'était finalement pas qu'un prétexe à une histoire parfumée à l'eau de rose qui cacherait son nom et qui ne serait pas exempt des reproches détaillés par l'auteur. En fermant le roman, je me suis dit que le proverbe La critique est aisée mais l'art est difficile avait encore de beaux jours devant lui.

Du même auteur : Port-Paradis

Laurence

Extrait :

Cyril jette un œil, à gauche, sur la pile de mansuscrits en souffrance. Comme chaque matin, Blanche, fidèle compagne de labeur, est allée chercher à la loge du concierge, à l'aide d'une brouette achetée à Bricojardin aux temps héroïques de Fulmen, la pile branlante de nanars que le facteur, tous les matins, livre dans un sac de jute.
Nouveau soupir, long. Il plonge.
Aussitôt, il croit reconnaître l'éternel remugle d'entre-draps, de confessionnal, de foutre séché, les symptômes de l'autobriographite compulsionnelle, qui s'épanouit entre prurit et nausée. Assez, par pitié! Il aimerait tant, Cyril, humer de temps à autre un parfum de caramel enfantin et propre, qui se répandrait dans un appartement sans histoires à l'heure du goûter, une fraîcheur de pâquerettes et d'herbe mouillée qui ne prétendrait pas révéler quoi que ce soit, n'exprimerait rien, ne chercherait aucun prolongement dans l'âme du lecteur... À défaut de l'odeur redoutable et puissante du génie, un petit effluve du bonheur le plus bête... Juste de temps à autre, pour se reposer.
Mais non. Quand ils ne tentent pas d'écrire des romans aspartam, ils vous détaillent leurs lugubres histoires de capotes anglaises, les fistules de grand-mère, le cancer du voisin, le sida du fiston. Ça sécrète à tout va, ça se délite, ça se décompose, mais dignement, n'est-ce pas, ça se regarde mourir avec un sourire supérieur, ça crève dans l'humour, ça schlingue en toute distinction. L'amour, n'en parlons pas, sujet n°1 au hit-parade des rancœurs. Elle m'a trompé, il m'a quittée, elle est belle la nature humaine, ah oui!  Vous allez voir, en six cents pages, vous aller voir! Que ma souffrance vous éclaire... J'ai l'air bien souffrant, là? Pas trop crispé? Accrochez-vous, je vous raconte mon divorce. Je vous prévient, c'est très, très dur. Le prochain tome, c'est sur Papa...


Éditions Folio -  309 pages