Mais tout ce petit monde n'est pas paisible. Monsieur Soliman vieillit et mourra, laissant un héritage à Ethel. Mais que faire d'un héritage quand on est trop petite pour comprendre ces choses ? Et rien ne va plus entre Alexandre et Justine. Et que dire de ces dimanches après-midi de salon dans lesquels se retrouvent les amis d'Alexandre et où on discute - fort ! - de politique. Horribles discussions qu'Éthel déteste, si ce n'est de la présence par moment de Laurent, un jeune rouquin britannique qui est gentil avec elle. Et Xénia qui s'éloigne d'elle.

« Et la guerre arriva » comme chante Brel.

Le Clézio offre ici un récit autour de sa mère, un récit qui pourtant n'est pas à proprement parler biographique. En effet, l'auteur est né pendant la guerre (il l'aborde d'ailleurs en préface lorsqu'il développe autour de son propre rapport à la faim), ce qui ne correspond pas aux dates du roman. Il s'inspire donc de son histoire de famille pour raconter celle d'Ethel, jeune fille qui, pressée par les événements, devra prendre de l'autonomie pour permettre à sa famille de passer à travers les difficiles années de guerre.

J'ai bien aimé ce roman, surtout pour la façon dont Le Clézio dessine ses personnages à grands traits, aux contours flous, mais avec des couleurs chaudes, puissantes, très réalistes. Rien n'est décrit dans le détail et pourtant la magie opère, les personnages sont là, devant nos yeux.

Par contre, je ne sais pas si c'est mon manque de repères européens (pourtant, je connais assez bien mon histoire du XXe siècle), mais j'ai par moment eu du mal à suivre les discussions de salon (souvent présentées comme du théâtre) et les positions idéologiques des uns et des autres, vacillant de gauche à droite. Cela contribue à rendre le personnage d'Alexandre, le père d'Ethel, fuyant et insaisissable, mais complique aussi la compréhension des rebondissements.

Par Catherine

Extrait :

Ethel. Elle est devant l'entrée du parc. C'est le soir. La lumière est douce, couleur de perle. Peut-être qu'un orage gronde sur la Seine. Elle tient très fort la main de Monsieur Soliman. Elle a dix ans à peine, elle est encore petite, sa tête arrive à peine à la hanche de son grand-oncle. Devant eux, c'est comme une ville, construite au milieu des arbres du bois de Vincennes, on voit des tours, des minarets, des dômes. Dans les boulevards alentour la foule se presse. Soudain, l'averse qui menaçait crève, et la pluie chaude fait monter une vapeur au-dessus de la ville. Instantanément des centaines de parapluies noirs se sont ouverts. Le vieux monsieur a oublié le sien. Alors que les grosses gouttes commencent à tomber, il hésite. Mais Ethel le tire par la main, et ensemble ils courent à travers le boulevard vers l'auvent de la porte d'entrée, devant les fiacres et les autos. Elle le tire par la main gauche, et de la droite son grand-oncle maintient son chapeau noir en équilibre sur son crâne pointu. Quand il court, ses favoris gris s'écartent en cadence, et ça fait rire Ethel et, de la voir rire, il rit aussi, tant et si bien qu'ils s'arrêtent pour s'abriter sous un marronnier.


Éditions Gallimard - 207 pages