Nous retrouvons donc Gabriel sous la plume cette fois-ci de Didier Daenincks. Il enquête alors sur le meurtre d’un célèbre écrivain anarchiste, André Sloga. Est-ce un simple cambriolage qui a mal tourné, comme le suggèrent les autorités, ou les motivations de son assassinat sont-elles beaucoup plus troubles et inavouables que cela ? Didier Daeninckx nous brosse avec malice les différents personnages de ce roman et nous emmène dans les chemins boueux de l’extrémisme. Je n’ai personnellement lu que deux enquêtes du Poulpe en comptant celle-ci, et je dois avouer que j’ai préféré la plume de Jean-Bernard Pouy dans “La Petite Écuyère a cafté”. Mais ne boudons pas notre plaisir, ce court roman se lit facilement et avec entrain.

(Du même auteur : Cannibale, Le dernier guerillero, et Rue des degrés in Paris Noir)

Laurence

Extrait :

Juchée sur un tabouret bancal, Maria inscrivait au blanc d'Espagne la liste des entrées et des desserts du jour sur la devanture du Pied de Porc à la Sainte-Scolasse. Avec le secours du meuble, leurs têtes étaient à la même hauteur. Il l'embrassa et pointa le doigt vers le menu.
—Vinaigrette, ça s'écrit avec un V, pas avec un B...
Elle détourna le regard pour vérifier la graphie, par réflexe, et comprit dans le mouvement qu'il se moquait d'elle. Elle força sur l'accent de Teruel pour lui répondre.
-Yè complends pas... C'est poultant bien des poils aux binaiglettes...
Le patron ne le vit pas entrer, occupé qu'il était à jouer du percolateur. Gabriel salua la quinzaine d'habitués regroupés autour du zinc et s'installa derrière la rangée de pots de misère dont les feuilles, dopées par Maria à l'aspirine et à la décoction de coquille d'œuf pilée, viraient au vert Normandie. Léon, le berger allemand épileptique, se dirigea vers lui au ralenti, l'arrière-train en dérapage. Il se cogna deux fois le museau contre les chaises au paillage plastifié avant de s'effondrer en soupirant aux pieds de Gabriel.
Gérard, qui finissait de servir une dizaine de cafés et presque autant de calvas, traversa la salle. Il déposa devant lui le bol d'arabica et le croissant quotidiens.
—Faut plus filer de sucre à Léon, il devient miro ! Déjà qu'il n'aboie plus...
D'ordinaire Gabriel aurait habillé la gourmandise du clé-bard de mille vertus, il se serait évertué à soutenir que, dans Le Banquet, Platon faisait dire au Philosophe que le palais primait la vue, affirmant que les yeux ne décèlent que la surface des choses, alors que les papilles décryptent la profondeur secrète des saveurs terrestres. En un mot il aurait fait son numéro. Les clients, attentifs, attendaient la joute mais rien ne venait, Gabriel demeurait immobile, le nez en embuscade sur la rubrique des faits divers.


Éditions Librio - 94 pages

Du même auteur : Cannibale