Dans ce récit à la première personne, Romuald nous narre sa descente aux enfers, et son combat contre la tentation de la chair. Car Clarimonde n’est pas une simple courtisane. Revenue d’entre les morts, elle est une vampire au pouvoir ensorcelant. Le génie de Théophile Gautier, est d’avoir fait de sa vampire une femme terriblement amoureuse de son amant. Quel dilemme plus cruel que celui-ci ? Si elle se rassasie aux veines de Romuald, elle le condamne à une mort certaine ; mais si elle se nourrit aux veines des autres hommes, elle commet là l’infidélité la plus incontestable qui soit pour un vampire. Clarimonde ne peut se résoudre à aucune de ces deux solutions. Théophile Gautier nous raconte donc le destin tragique de la première vampire anorexique par amour. Clarimonde est un personnage extrêmement attachant qui bouleverse toutes nos conceptions du mythe du vampire. Je me souviens de mes discussions à bâtons rompus avec un professeur d’université : lui, soutenant que Clarimonde n’est qu’un vampire parmi tant d’autre, moi convaincue de lire le premier texte parlant du suicide d’une vampire amoureuse. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs quand on se réfère au titre que l’auteur a donné à cette nouvelle ? A vous de vous faire votre opinion. C’est un très beau texte poétique, à déguster comme un péché de gourmandise.

Laurence

Extrait :

Vous savez les détails de cette cérémonie : la bénédiction, la communion sous les deux espèces, l'onction de la paume des mains avec l'huile des catéchumènes. et enfin le saint sacrifice offert de concert avec l'évêque. Je ne m'appesantirai pas sur cela. Oh ! que Job a raison, et que celui-là est imprudent qui ne conclut pas un pacte avec ses yeux ! Je levai par hasard ma tête, que j'avais jusque là tenue inclinée, et j'aperçus devant moi, si près que j'aurais pu la toucher, quoique en réalité elle fût à une assez grande distance et de l'autre côté de la balustrade, une jeune femme d'une beauté rare et vêtue avec une magnificence royale. Ce fut comme si des écailles me tombaient des prunelles. J'éprouvai la sensation d'un aveugle qui recouvrerait subitement la vue. L'évêque, si rayonnant tout à l'heure, s'éteignit tout à coup, les cierges pâlirent sur leurs chandeliers d'or comme les étoiles au matin, et il se fit par toute l'église une complète obscurité. La charmante créature se détachait sur ce fond d'ombre comme une révélation angélique; elle semblait éclairée d'elle-même et donner le jour plutôt que le recevoir.
Je baissai la paupière, bien résolu à ne plus la relever pour me soustraire à l'influence des objets extérieurs; car la distraction m'envahissait de plus en plus, et je savais à peine ce que je faisais.
Une minute après, je rouvris les yeux, car à travers mes cils je la voyais étincelante des couleurs du prisme, et dans une pénombre pourprée comme lorsqu'on regarde le soleil.
Oh ! comme elle était belle ! Les plus grande peintres, lorsque, poursuivant dans le ciel la beauté idéale, ils ont rapporté sur la terre le divin portrait de la Madone, n'approchent même pas de cette fabuleuse réalité. Ni les vers du poète ni la palette du peintre n'en peuvent donner une idée.


Éditions Librio - 89 pages