Galathée et Pygmalion devient très vite un thème littéraire qui sera exploré par plusieurs siècles, plusieurs auteurs, et de différentes manières mettant en valeur tantôt le rôle du maître, du créateur (Pygmalion) tantôt le rôle de la création vivante objet d’amour (Galathée). Aussi, lorsque Rousseau écrit son Pygmalion, dans lequel le sculpteur tombe amoureux de sa plus belle création, et se trouve par là même dépourvu de tout sens créatif, la dimension religieuse est réorientée vers le culte de l’art. Pygmalion invoque ouvertement la déesse Vénus, déesse de l’amour, déesse mère, déesse de la fécondité. Dans le Pygmalion de Rousseau, il s’agit d’un sculpteur amoureux de son don d’artiste, à travers la plus belle sculpture qu’il ait réalisé. Au XVIIIe également, l’Abbé Prévost écrit l’Histoire d’une grecque moderne. Dans ce texte, Galathée est représentée par une jeune grecque du nom de Théophé. L’ambassadeur français, se trouvant en Turquie pour les besoins de son travail, délivre cette jeune femme du Sérail d’un de ses amis pour lui rendre sa liberté. Il entreprend alors, en la gardant chez lui, de l’instruire en lui donnant à lire les plus grands philosophes français. Il se rend alors compte qu’il en tombe amoureux, comme d’autres hommes dont il protègera la jeune grecque, toujours en vertu de sa liberté. Plusieurs fois l’ambassadeur lui fera des demandes en mariage, des crises de jalousie durant lesquelles il lui prêtera les pires bassesses. Mais Théophé, à l’image de Galathée, est un être pur, qui ne souhaite la liberté que pour la consacrer à la vertu. Marivaux, dans son Arlequin poli par l’amour, s’inspirera également du mythe. Mais cette fois, Galathée s’incarne dans Arlequin, et le Pygmalion est une fée. Le fait d’instaurer la magie dans le rôle de la transformation du jeune homme vient peut-être par là démythifier, et ridiculiser le mythe par excellence de la possession d’une liberté, de l’élévation d’une âme à son seul profit. Ce même échec arrive également, et cette fois sans magie, mais peut-être grâce à un miracle, dans La symphonie Pastorale de Gide. Ici, la jeune femme aveugle, telle une petite brebis, recueillie par le pasteur qui en tombera amoureux, retrouve la vue grâce à une opération chirurgicale (dans les années 30..). Leur amour est bien sûr impossible, et la jeune fille perdra la vie.
Par définition, Galathée est silencieuse, puisqu’elle est faite de pierre. D’abord d’ivoire blanc, puis de marbre dans le « Pygmalion de Rousseau ». Elle parle peu, même lorsque les divinités, lui ont donné la vie. Dans La symphonie pastorale, la jeune femme apparaît d’abord comme un petit être muet. Arlequin, chez Marivaux, est d’abord laconique.
Dans chacune des œuvres représentées au XVIIIe siècle, (celle de Rousseau mise à part) le mythe représenté à travers chacun des personnages illustre l’émancipation par le savoir en posant le problème de l’impossibilité de lier deux desseins : le dessin du maître qui enseigne à son élève, et le dessein amoureux. C’est en effet à une émancipation par le savoir que l’on assiste. La Fée apprend à Arlequin à vivre dans un monde de magie, et c’est par la magie, par le pouvoir phallique que représente la baguette qu’Arlequin reprendra le dessus, et ainsi, le rang qui est dû à son sexe. Théophé échappe à l’ambassadeur par les lectures qu’il lui a conseillé de suivre, celles des philosophes. Elle acquiert peu à peu une vertu qui lui devient plus chère que l’amour lui-même, auquel elle résiste donc car elle ne peut pas « aimer son libérateur (son maître) de cette façon ».
Il est évident que selon les époques, Galathée et Pygmalion tiennent chacun une place plus ou moins importante à travers leurs représentations. On parle bien plus souvent du mythe de Pygmalion, « Le pygmalion de.. », « Pygmalionnesque », etc.. Galathée semble vouée au monde du silence, éternellement cachée derrière son créateur : car qui la fait vivre sinon celui qui l’aime ? Pourquoi s’y intéresse-t-on sinon grâce à la complexité apportée par les sentiments ambigus de son créateur ? C’est un mythe où le dominant n’est pas celui qu’on croit, où la femme incarne le pouvoir d’envoûtement menant à la folie, à une perte totale de la raison. Il était donc nécessaire de redorer son blason.
© Léthée juin 2005