Peu importe qui est l'enfant, vous le comprendrez tôt ou tard au fil des pages. Ce qui nous intéresse ici, c'est la façon dont un enfant peut vivre quand il n'y a rien autour de lui auquel il peut s'accrocher : ni adulte, ni jouet, ni même horizon dans lequel se perdre. Comment survit un enfant quand on ne lui donne que le strict minimum, à savoir un lit et deux repas par jour? Comment faire quand on vous donne un pot pour faire vos besoins, mais qu'on oublie de vous le vider? Comment ne pas devenir fou quand personne ne vous parle? Comment grandir quand il vous semble être oublié du monde?
Autour de cette question, Françoise Chandernagor prend son temps, décrit l'immobilité, la non-action, les mois qui passent avec une infinie lenteur.
Et puis elle interroge les témoins de cette époque; elle les sort de leur repos éternel pour qu'ils puissent se justifier face à la "romancière-historienne"; elle ne laisse passer aucune incohérence, aucune fausse excuse. Et les fantômes tentent de trouver le pardon.
Ce roman ne parle pas de combats, d'amourettes ou d'actions frénétiques, mais de la longue attente qui fut celle de cet enfant.

Du même auteur : La reine oubliée

Extrait :

Allongé près de la grande fenêtre, tout contre le mur de neige, il va mourir tête nue sous les étoiles. S'il s'endort maintenant, il va mourir sous les étoiles. Est-ce que son père est au ciel ? « Foutaises ! » disait Antoine. Non, on a dû le suspendre au croc d'un charcutier pour le débiter en quartiers... L'enfant sans bonnet ne veut plus penser au charcutier. Les étoiles, si belles, descendent dans ses yeux, des étoiles épanouies, ouvertes comme des fleurs. Ce soir, le ciel entre les planches a l'air d'une jonchée de corolles, d'un semis de pétales. Il y a si longtemps que le petit n'a pas vu de fleurs des bois et des jardins, si longtemps qu'il n'a plus rien planté, rien cueilli. Même la caisse de géraniums qu'Antoine lui avait donnée l'été dernier, la caisse a été remportée avant les premières gelées ; de toute façon, les géraniums étaient « passés » ; on ne les a pas remplacés ; « y a plus assez de lumière », avait expliqué Marie-Jeanne en montrant, aux fenêtres, les grands abat-jour de bois qu'on venait de remonter.
Les étoiles sont les seules fleurs qui lui restent. Des fleurs coupées. Sans queue ni feuilles. Des têtes de fleurs. On ne peut pas garder des fleurs sans tige : plus d'eau, plus de sève, plus de sang. Des têtes sans tige, on ne peut pas les sauver.
Alors, pour sauver ses dernières fleurs, celles qui brillent là-haut au-dessus de « l'abat-jour » et des barreaux, l'enfant, avant de s'endormir, s'applique à imaginer des herbes folles, des racines grimpantes, à tracer dans l'espace des hampes aériennes, à lancer de longues tiges vers les étoiles pour qu'elles ne meurent jamais...
Pour ne pas mourir, dans un effort désespéré, l'enfant accroche des tiges aux étoiles.


Editions Folio - 458 pages.