Toute la force de cette pièce réside dans la confrontation permanente du fond et de la forme. Alors que l'auteur a choisi de traiter du sujet grave de l'indifférence face à l'exclusion, il a réussi à faire de ses personnages des Augustes attachants, émerveillés et merveilleux. Barbara n'est que le détonateur d'une prise de conscience collective.

À chaque lecture, je suis touchée par les relations qui se tissent entre résidents et médecin, amusée par l'univers "hors-temps" dans lequel évoluent certains d'entre eux, émues par la candeur et la naïveté qu'ils expriment parfois, bouleversée par la poésie qui accompagne la brutalité de la réalité.
Quand je dois aborder le théâtre avec certains élèves de CAP, je choisis souvent cette pièce. Cela leur permet de découvrir que le théâtre peut être actuel, vivant et émouvant. Mais je laisse la parole à la belle Yaguel...

Extrait :

MANUEL - “Je vous ai soignée. Et c'est comme ça que vous me remerciez ?
YAGUEL - Mais c'est pas après vous qu'on en a ! Vous comprenez pas que si on ne fait rien on va tout simplement crever ? Et de toute façon, crever pour crever, autant faire une action d'éclat avant ! Je veux dire, trouver en nous la force de nous sortir en nous élevant, même au prix d'une chute mortelle !
MANUEL - C'est Barbara qui vous a monté la tête !
YAGUEL - Elle a de l'instruction, moi c'est ce qui m'a toujours manqué ! Je savais même pas qu'il y avait des endroits comme ici. C'est tellement fou que jamais j'aurais pu imaginer qu'un endroit comme celui-là puisse exister, alors c'est vrai que quand tu es dehors dans la rue, la nuit, et que tu vois les gens dans leur maison, avec les rideaux aux fenêtres, les gens qui passent devant la lumière et qui rient, des fois on entend rire ! Bon, d'accord, nous on est dehors, mais on peut accepter d'être dehors si c'est pour que des gens soient dedans. Simplement, on a juste l'impression d'être en trop ! C'est tout ! Mais pour des choses? Pour des choses? Des morceaux de tissus en lin? Des squelettes? Même des squelettes, Manuel ! Ils mettent les squelettes au chaud, à l'abri du vent ! Mais pourquoi, Manuel, pourquoi ?
MANUEL - Mais c'est pour qu'on puisse justement apprendre, pour l'instruction, pour savoir ce qu'est le monde !
YAGUEL - Bien sûr, mais il suffit tout de même de sortir dans la rue pour le voir, le monde, la nuit, et même le jour, les enfants qui mendient, qui dorment dans des cartons, avec la morve qui coule ! Tu as même pas besoin de payer ton billet d'entrée pour le voir !
MANUEL - Et tu veux pas quand même qu'on les mette dans les musées, les gosses?
YAGUEL - Et pourquoi pas? Tu as peur que ça fasse moins de recette? C'est pas sûr ! Même ça, c'est pas sûr ! A mon avis, c'est même peut-être le contraire... Le monde est apparemment si bizarre ! En plus, comme ça, eh bien, en même temps, ils apprendraient, les enfants !
MANUEL - N'importe quoi !
YAGUEL - Mais si, mais si, ils feraient des progrès en tout ! Mais bien sûr ! C'est pas bête ! Et puis ils seraient au chaud, ça surtout c'est quand même primordial !
MANUEL - Y a quand même des hôpitaux où on fait des efforts !
YAGUEL - Mais pas assez, pas assez ! Il faut un plan d'urgence à l'échelle nationale ! On ne doit plus supporter une injustice de cette trempe ! Cela dit, bien sûr, je prêche pour ma paroisse ! Mais enfin, il suffit de partager ! Je suis pas contre les squelettes en particulier, parce que même moi, en fouillant un peu, je me trouverais bien un petit squelette dans le ventre, en cherchant bien, mais c'est pas une raison !
MANUEL - Vous me faites douter, hein ! Y a des fois où vous me faites douter quand même !”

si vous êtes des hommes
Si vous êtes des hommes, suivi de Réception
Éditions l'Atalante - 165 pages