L'histoire commence avec la scène mémorable du dentiste arracheur de dents. Immédiatement, vous perdez tous vos repères et vous laissez conduire par le talent de Sepulvada. Le vieil homme dont il est question dans le titre, a découvert, au hasard d'une élection, qu'il savait lire. Il se passionne alors pour ces histoires d'amours où les obstacles sont nombreux mais les fins toujours heureuses. Debout, face à la table de sa modeste demeure, il lit et relit cent fois les même lignes pour s'en imprégner. C'est un paysan qui a quitté sa terre devenue trop aride avant d'être lui-même abandonné par sa femme trop âpre au gain. Il découvre alors les indiens Shuars et leurs rites ancestraux empreints de courage et de respect, avant de retourner vivre dans le village des "blancs".
Mais depuis peu, un Ocelot menace le village. Le maire, personnage imbu et ridicule, lui demande de l'aider dans cette chasse au fauve. Le vieil homme délaisse à regret ses romans et replonge dans ses souvenirs.

Luis Sepulveda est un artisan jongleur de mots. Devant nos yeux de lecteurs ébahis, il arrive à matérialiser cette forêt amazonienne pleine de mystères et d'animaux curieux. En quelques phrases, les ouistitis quittent les pages dans lesquels ils étaient enfermés et votre chambre semble envahie d'une végétation luxuriante. Luis Sepulveda use mais n'abuse pas des métaphores : elles sont toujours justes, précises, ciselées. A l'aide de quelques analogies, il arrive à dessiner avec des lettres les situations les plus piquantes et cocasses.

Le vieil homme lit des histoires d'amour d'occidentaux qui ont perdus leurs racines. Nous, nous lisons l'histoire d'amour d'un homme et de sa terre.

Du même auteur : Monde du bout de monde, Journal d'un tueur sentimental, La Lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli, Histoires d'ici et d'ailleurs, Dernières nouvelles du Sud, Les roses d'Atacama

Par Laurence


Comme Laurence, j’ai beaucoup aimé ce livre. On sait qu’on a affaire à un grand maître quand en si peu de pages il réussit à rendre réel un univers aussi éloigné du nôtre. Il m’est arrivé d’avoir une pensée pour les bêtes sauvages en rentrant chez moi au milieu de la nuit. Bien peu de chance pourtant qu’une ocelot (même un ours !) se soit égaré dans la Petite-Patrie montréalaise.

Mais ce court récit m’a habité, il m’a suivi. Et c’est tellement bien écrit. D’une fluidité exemplaire.

Un 5 étoiles en ce qui me concerne.

Par Catherine
le 04 décembre 2007

Extrait :

Pluies et soleil, les saisons se succédaient. Avec leur passage, il apprit les rites et les secrets de ce peuple. Il participait à l'hommage rendu quotidiennement aux têtes réduites des ennemis morts en guerriers valeureux, et entonnait avec ses hôtes les anents, chants de remerciement pour le courage ainsi transmis, et prières pour une paix durable.
Il partagea le festin fastueux offert par les anciens qui avaient décidé que l'heure était venue de "partir" et, une fois ceux-ci endormis sous l'effet de le chicha et de la natema dans la félicité des visions hallucinatoires qui leur ouvraient les portes d'une existence future déjà déterminée, il aida à les porter dans une cabane éloignée et à enduire leur corps de miel de palme très doux.
Le lendemain, tout en chantant les anents destinés à les accompagner dans leur nouvelle vie de poissons, de papillons ou d'animaux sages, il ramassa avec les autres les ossements blanchis, parfaitement nettoyés restes désormais inutiles des anciens transportés dans l'autre vie par les mandibules implacables des fourmis.
Tant qu'il vécut chez les Shuars, il n'eut pas besoin de romans pour connaître l'amour.

le vieux qui lisait des romans d amour
Éditions Métailié - 130 pages