Rachel a eu deux amants dans sa vie. Le premier, son mari officiel, Roland Vanderliden, était un anthropologue passionné et toujours en voyage. Le second s'est présenté un jour à la porte de Rachel en lui disant simplement qu'il était "Roland Vanderlinden", son mari revenu d'une longue absence. Après une courte hésitation, Rachel a accueilli cet inconnu comme si de rien n'était et a vécu deux ans avec lui.
Ce roman ne nous décrit finalement que très peu cette épouse hollandaise. Pour nous parler d'elle, Eric McCormack préfère nous narrer la vie des hommes qui l'ont aimée : Roland l'anthropologue tout d'abord. Avec lui, nous découvrons des contrées isolées, des traditions oubliées, des superstitions surprenantes... La partie qui lui est consacrée m'a d'ailleurs rappelé certaines thématiques de Sepulveda.
Vient ensuite le second Roland, cet étranger qui a pris la place du premier sans jamais dévoilé sa véritable identité, ni son passé. Rachel ne saura qui a été réellement son second amant que des années plus tard.
Le fils de Rachel, enfin, qui n'hésite pas à noyer le narrateur sous les détails les plus cocasses, mais qui se garde bien de révéler les secrets de sa propre existence.

Ce récit canadien est une invitation au voyage : de Toronto au Tibet, de l'Égypte à l'archipel des Motumuas, j'ai parcouru émerveillée un tour du monde des us et coutumes. Certains éléments récurrents, comme le ver de Guinée ou l'origine de l'expression "épouse hollandaise", sont des fils rouges qui maintiennent le lecteur en éveil.
Cette histoire n'est donc pas celle d'une femme, mais les destins des trois hommes passionnés et passionnants qui ont partagé sa vie. Eric McCormack, en se mettant en scène dans le récit, s'interroge aussi sur l'acte d'écriture et les choix qui s'offrent à l'écrivain.
Un roman surprenant, dépaysant et riche en rebondissements.

Extrait :

"Elle alla à la porte, respira à fond une dernière fois et ouvrit.
Sur le seuil se tenait un inconnu, un homme robuste coiffé d'une casquette de toile marron qu'il ôta. Il avait le nez tordu et une cicatrice au-dessus de l'arcade-sourcilière.
Ses yeux d'un bleu délavé adoucissaient un visage qui sans cela, aurait été dur. Il ne semblait pas très sûr de lui.
"Oui?" fit Rachel Vanderlinden. Elle se disait que l'inconnu était peut-être de ces mendiants qui proposaient de tondre la pelouse en échange d'un repas.
L'homme marmonna quelque chose qu'elle eut du mal à comprendre - il avait un accent, écossais peut-être.
"Pardon?" dit-elle.
Il remua ses pieds. Ses brodequins noirs étaient poussiéreux, son costume de velours côtelé marron élimé et étriqué. Il serra sa casquette et toussota. Cette fois, quand il parla, elle distingua clairement les mots "votre mari".
Son coeur s'arrêta. "Mon mari? répéta-t-elle. Oui, eh bien?"
Les yeux bleus se fixèrent cette fois sur les siens et il s'exprima distinctement. "Je suis votre mari", dit-il en s'attardant sur le "Je suis". Il sourit en faisant à moitié la moue.
"Quoi? fit-elle en le dévisageant. De quoi parlez-vous?" Elle était prise de frayeur.
Il se passa les doigts dans ses cheveux blonds ébouriffés. Il avait des mains de travailleur. "Je suis votre mari, répéta-t-il. Je reviens d'Angleterre." Comme s'il récitait un texte qu'il avait appris, il pousuivit : "Je suis arrivé à Halifax la semaine dernière. J'ai envoyé un télégramme." Il s'interrompit, puis répéta une nouvelle fois : "Je suis votre mari."
L'homme attendait, l'air embarrassé. Il semblait croire qu'il lui avait remis un message codé qu'elle était censée savoir déchiffrer et escomptait à présent une réponse.
Et pendant qu'il attendait, elle comprit soudain. Son coeur se mit à battre à tout rompre, son esprit était en effervescence.
Il resta un instant à l'observer, puis il dit : "C'est idiot. Je suis désolé de vous avoir importunée." Il tourna les talons et s'éloigna dans l'allée pour regagner la rue.
Elle était soulagée. Elle n'aurait pas besoin de dire quoique ce soit. Il lui suffisait de la laisser partir.
Puis à l'instant où il ouvrait le portail, elle changea d'avis. "Attendez", lui lança-t-elle.
Il s'immobilisa devant le portail et se retourna.
Elle l'observa un long moment. Elle dut s'éclaircir la gorge. "Entrez, lui dit-elle
- Vous êtes sûre?" répondit-il.
Elle réfléchit un instant. "Oui", fit-elle
Alors, il remonta l'allée et entra dans la maison."

épouse hollandaise
Éditions Christian Bourgois - 332 pages