L'expérience s'est déroulée sur 3 mois. Une fois la décision prise, J.H. Griffin a quitté sa famille, puis à l'aide d'injection et de rayons uv a entamé la transformation. Quand sa peau eut atteint la coloration adéquat, il a tout laissé derrière lui pour comprendre la douleur de toute une partie de la population américaine.
Son périple a commencé à la Nouvelle-Orléans. Dès sa première sortie, John-Howard Griffin entre dans un nouveau monde : la plupart des cafés et restaurants lui sont fermés; il ne peut plus boire ou aller aux toilettes comme avant; il est obligé de parcourir des kilomètres pour simplement pouvoir acheter une bouteille d'eau; les trajets en transport en commun deviennent humiliants. En changeant de couleur de peau, il a disparu. Les hommes blancs ne le regardent plus : là où il avait droit avant à des sourires et des "bonjours", ne résonnent plus que des regards d'indifférence ou pire de menace.
Mais il veut aller au bout de son projet. Alors il prend un bus pour rejoindre le Misssipi, terre de la ségrégation. Et l'expérience se transforme en cauchemar. À la Nouvelle-Orléan, si la vie d'un noir est compliquée, elle devient insoutenable dans le berceau des Sudistes. Le regards font place aux actes. Chaque respiration peut-être interprétée par les racistes comme un geste de défi et d'insolence : un simple regard prolongé sur une affiche de cinéma et on vous accuse de vouloir posséder une femme blanche. John Howard Griffin va réaliser que l'on traite les noirs comme la pire engeance de la terre.
Quand au bout de six semaines, il décide de retourner parmi les siens, les difficultés, loin de s'estomper, vont aller croissantes. Les blancs ne lui pardonnent pas ce qu'ils prennent pour une trahison.

Ce récit est bouleversant. Il faut bien se souvenir à chaque ligne, que ce qui se déroule sous nos yeux n'est pas une fiction, mais bien le témoignage d'un homme qui a voulu vivre ce que subissait toute une partie de la population américaine à la fin des années 50.
En changeant de couleur de peau, John-Howard Griffin a fait ce qu'aucun autre homme avant lui n'avait tenté. Comprendre de l'intérieur. Il était si facile de croire que les noirs étaient heureux : il suffisait de le leur demander et ils répondaient ce que l'homme blanc voulait entendre. En se faisant passer pour l'un d'eux, J.H. Griffin a récolté des paroles vraies, sans concession. Quand l'espoir de justice n'existe plus, comment vivre dignement? Quand un état invente des règles pour mieux contrôler les noirs et protéger les blancs, comment croire à la paix?
Jamais plus John Howard Griffin ne fut considéré comme un "véritable blanc" : Parce qu'[il avait] été un Noir pendant six semaine, [il] demeurai[t] en partie Noir ou essentiellement Noir.

Extrait :

Éteignant toutes les lumières, j'allai dans la salle de bains où je m'enfermai. Dans l'obscurité je restai planté devant le miroir, ma main sur le bouton de l'électricité. Je m'obligeai à la tourner.
Dans un flot de lumière reflété par le carrelage blanc, le visage et les épaules d'un inconnu - un Noir farouche, chauve, très foncé - me fixait avec intensité dans le miroir. Il ne me ressemblait en aucune façon. La transformation était complète et bouleversante. Je m'attendais à me trouver déguisé, ceci était tout autre chose. J'étais emprisonné dans le corps d'un parfait étranger, peu attirant et à qui je ne me sentais lié en rien. Tout ce qui pouvait subsistait du John Griffin antérieur était anéanti. Ma personnalité elle-même subissait une métamorphose tellement totale que j'en éprouvai une détresse profonde. Je regardai dans le miroir qui ne reflétait rien du passé de John Griffin, homme blanc. Non, cette image était un retour à l'Afrique, aux masures et au ghetto, aux luttes stériles contre l'anathème noir. Tout à coup, sans presque aucune préparation mentale, sans indications préalables, ce la m'apparut évident et m'imprégna entièrement. Ma tendance naturelle fut de lutter contre cela. J'avais été trop loin. Je savais maintenant qu'il ne peut être question d'un homme blanc déguisé lorsque le maquillage foncé ne peut être enlevé. L'homme teint est intégralement un Noir, qui qu'il ait pu être auparavant. J'étais un Noir de fraîche date qui devait franchir cette porte et vivre dans un univers qui m'était étranger.

couverture
Éditions Folio - 249 pages