Laurence : Bonjour Mary Dollinger,

j'ai été très agréablement surprise en lisant votre roman. Je l'ai trouvé rafraîchissant, impertinent et très enlevé. « Au secours Mrs. Dalloway » est votre premier roman publié. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de vous lancer dans l'écriture en générale et dans la fiction en particulier?

Mary Dollinger : Tout d’abord je voudrais vous remercier d’avoir ouvert vos colonnes à l’auteur inconnu que je suis, et saluer ce geste courageux ! En réponse à votre première question j’ai commencé à écrire ce roman en … 1984. Comme beaucoup d’écrivains en herbe, j’écrivais dans un cahier d’écolier, et étais rapidement confronté un problème majeur : je suis la championne toutes catégories des ratures, repentir en tous genres, changement d’avis milieu d’une phrase, d’un mot ou même d’une syllabe. Après quelques mois je me suis retrouvée en possession d’un texte illisible et l’exercice devenant bien fatigant, j’ai rangé le cahier dans un tiroir. Et les années passent pendant lesquelles je fais la connaissance de cette merveille de la technologie moderne : le traitement de texte, outil capable de transformer le texte le plus médiocre en chef d’œuvre virtuel et en 1996, sous l’emprise d’un brève instant d’inspiration j’ai écrit… une demi page. Finalement ayant quitté Lyon pour la Drôme profonde, en 2004 j’ai tout ressorti, gardé un peu, puis mis un an pour terminer le roman que vous connaissez.

L. : Même si vous vivez en France depuis très longtemps, l'anglais reste votre langue maternelle. Avez-vous hésité ou saviez-vous dès le départ que vous écririez en français? Pourquoi ce choix?

M.D. : C’est assez curieux, car ce roman prend effectivement appui sur un écrivain anglais, mais il a toujours été « pensé » en français, je suppose parce que l’héroïne est anglaise et vit, comme moi, en France.

L. : On sait qu'aujourd'hui il est très difficile pour des plumes peu connues de se faire publier. Pouvez-vous nous raconter votre parcours?

M.D. : C’est un parcours assez dur, et j’ai mis un certain temps pour oser l’aborder. J’ai toujours écrit, un peu, au hasard, mais laissé mes écrits inachevés. Un écrivain qui se heurte à des refus constants est, en quelque sorte, un écrivain raté, alors en refusant de terminer mes projets, je restais quelque part « écrivain » . Mais une fois que l’on commence à chercher un éditeur, c’est comme une drogue, on ne peut plus s’arrêter. J’ai bien en tendu fait le tour de toutes les grandes maisons d’édition où j’ai eu la chance, si on peut l’appeler ainsi, de recevoir quelques lettres manuscrites, l’une me traitant de « charmant divertissement », une autre me disant des choses vraiment très aimables mais pour conclure qu’on avait peur « de ne pas pouvoir me lancer ». C’est vrai que mon cv est inexistant et que ma vie est d’une banalité affligeante. Enfin j’ai eu l’aubaine de plaire à Jacques André, jeune éditeur lyonnais et notre collaboration a été très riche.

L. : Dans votre roman, Clare, l'héroïne, épingle les générations des « nouveaux auteurs » personnifiée ici par Mireille Grandclément. Bien sûr, en le lisant, quelques noms me sont venus naturellement à l'esprit. Trouvez-vous que l'édition et les lecteurs s'enflamment à ce point pour des histoires creuses et sans style?

M.D. : Il faut considérer que j’ai poussé la satire un peu loin. Peut-être que les grand prix littéraires ne sont pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre, avec quelques notables exceptions comme le Goncourt de cette année, et certains « block busters » me semblent un peu maigres. Mais je suis très mal placée pour juger la littérature française contemporaine, car je lis surtout la littérature anglo-saxonne pour essayer de rester pas trop éloignée de ma culture d’origine. En revanche lorsque j’essaye d’écrire en français c’est l’immersion totale dans les classiques français : Stendhal, Flaubert, Zola, Maupassant (liste sans fin) en espérant m’imprégner le plus possible et oublier que je ne suis pas vraiment française.

L. : Parmi la littérature contemporaine (française ou anglaise) quels sont les auteurs que vous affectionnez?

M.D. : Tout d’abord l’incontournable Kressman Taylor pour « Inconnu à cette adresse, » à lire dans n’importe quelle langue, mais à lire absolument, le reste de ses écrits sont bien pales à côté, mais ce petit livre est un chef d’œuvre. Scott Fitzgerald, George Orwell, Truman Capote surtout pour « In Cold Blood ». Si vous voulez du noir ébène James Ellroy. Dona Tartt for « The Secret History », mais surtout pas pour « the Little Friend », comme elle sort un livre tous les dix ans il va falloir patienter pour la suite. Sue Townsend pour le cycle Adrien Mole, Stella Gibbons, moins connue en France, pour « Cold Comfort Farm », Tolkein of course, avec une tendresse pour « the Hobbit » un peu oublié malheureusement. John Irving, curieusement son dernier livre que la critique a adoré n’est pas celui que je préfère, mais le reste est incontournable. Jonathon Coe, Ian MacEwan, Sarah Waters surtout pour « Fingersmith » and «Affinity », mais impasse sur le quatrième livre, Kate Atkinson « Behind the Scenes at the Museum and « Case Histories » and any thing else. Sebastien Faulks pour « Bird Song » and « The Fatal Englishman ». Patricia Highsmith surtout pour « Ripley ». Ruth Rendell sometimes. Hanif Kureishi « The Bouddha of Suburbia. Je devais absolument ajouter Anita Brookner qui est une cousine germaine littéraire de Virginia Woolf, sans la facilité de cette dernière pour se promener dans l’espace temps, car elle était mon professeur d’Histoire de l’Art, et une femme absolument brillante. Comme Virginia Woolf elle manie la langue avec une élégance magnifique, mais ses personnages sont si tristes… Cette liste n’est pas originale, je reste très dix neuvième aussi bien en français qu’en anglais et mon grand bonheur serait d’être plongée dans un immense Trollope, Anthony bien sûr, à ne pas confondre avec Joanna que je déteste. En littérature française contemporaine je ne suis pas calée du tout. J’ai lu Houlbecq pour comprendre le pourquoi et le comment, et je n’ai pas aimé, Weyergans non plus. J’ai essayé Modiano, mais sûrement pas le bon. Je lis assez régulièrement Amélie Nothomb que je trouve parfois un peu mince, mais c’est si bien écrit que je lui pardonne bien volontiers. Mon vrai coup de cœur : le théâtre d’Ionesco dont je suis une inconditionnelle. Pour clore cette liste, je voudrais parler de ce grand homme de la littérature française, ce grand homme tout court, qu’est Bernard Clavel. Sans son encouragement je n’aurais jamais réussi à terminer ce roman, et je profite de l’espace que vous m’offrez pour le remercier pour son amitié et son soutien.

L. : Dans le même esprit, Clare s'imagine invitée sur un plateau télé lors d'une émission littéraire. La description que vous en faites est irrésistible. Pensez-vous effectivement que dans ce genre d'émission les intervenants prennent un malin plaisir à rendre leurs propos abscons?

M.D. : Lorsque vous parlez d’intervenants, s’agit-il des auteurs ou de ceux qui mènent le jeu ?

L. : Je pensais aux deux. ;-)

M.D. : Lorsqu’il s’agit de roman tout se passe généralement très normalement. J’ai une tendresse particulière pour les auteurs qui racontent leur livre par le menu, vous enlevant toute envie de l’acheter, mais je comprends tellement leur désir de partager. Dans le cas de livres « philosophiques » les choses deviennent plus obscures et se rapprochent plus du scénario du rêve de Clare.

L. : Votre héroïne décide donc d'écrire un roman et s'inspire pour ce faire du personnage de Clarissa Dalloway. Que représente pour vous Virginia Woolf?

M.D. : Virginia Woolf est un très grand écrivain, sa prose est précise, ciselée, elle manie la langue anglaise avec une simplicité trompeuse, et elle m’ennuie prodigieusement ! J’ai avec elle une sorte de «love-hate » relationship. J’admire son écriture, mais je déteste ses personnages, tous mal dans leur peau, ses scénarios, et cette impossibilité à atteindre le bonheur, reflet de sa propre souffrance. Petite anecdote. Au Salon du livre de Lyon une vielle dame est venue me saluer en disant : « Je suis trop contente de faire, enfin, votre connaissance. » Elle m’avait prise pour Virginia Woolf. Comme j’habite à côté d’une petite rivière, je fais très attention…

L. : Choisir l'œuvre « Mrs Dalloway » comme point de départ de votre récit, sachant que Michael Cunningham s'y était déjà essayé avec talent dans The Hours, était une gageure. Y avez-vous pensé en écrivant votre roman?

M.D. : Étant donné que j’ai débuté mon roman en 1984, je lui ai plutôt grillé la politesse ! J’ai connu le livre de Cunningham d’abord par le film, et j’étais assez ennuyée, je l’avoue,mais comme je portais cette idée en moi depuis si longtemps, j’ai décidé de continuer.

L. : Clare se laisse totalement dépasser par ses personnages. Ils ont leur propre vie, leur propre volonté. Et vous? Vous êtes-vous laissée surprendre par Clare?

M.D. : Totalement. Malheureusement, lorsque j’écris j’avance au jour le jour sans trop savoir où je vais, ce qui est assez angoissant. J’ai donc avancé avec elle d’aventure en aventure.

L. : Clare vous ressemble-t-elle? Avez-vous piochez dans votre propre expérience et entourage pour écrire cette histoire?

M.D. : Voici une question que l’on me pose souvent, un premier roman étant sensé être autobiographique. C’est évident que ma vie est très loin de celle de mon héroïne, heureusement pour la quiétude de mon ménage ! Le seul détail vraiment autobiographique est le chien, mais il n’a qu’un role de figurant et n’influence pas la trame de l’histoire. Le reste est purement imaginaire. Est-ce que je ressemble à Clare ? Il y a sûrement un peu de moi quelque part, mais je l’ai faite blonde exprès pour m’aider à me distancer le plus possible. Je suis chatain foncé ! C’est un petit détail, mais cela aide à ne pas être tenté de faire un personnage miroir.

L. : Quel est votre rituel d'écriture? Y a-t-il un tiroir dans lequel vos personnages vous attendent?

M.D. : J’aimerais avoir un rituel d’écriture car à ce moment là je ne mettrai pas 21 ans pour terminer un roman ! Depuis la sortie de « Au Secours Mrs Dalloway » j’ai pris de bonnes résolutions et essaye de me discipliner un peu. Comme je suis une insomniaque invétérée je trouve, parfois, pendant une nuit à peine blanche, une idée qui permet de faire avancer mon histoire un peu. Une page par jour serait le bonheur. Mais j’ai plusieurs projets dans mes tiroirs, c’est même cela le gros problème, car je peux passer de l’un à l’autre sans forcément aboutir.

L. : Depuis quelques mois, vous sillonnez la France pour des rencontres avec les lecteurs. Quelles sont généralement leurs réactions? Est-il difficile d'être un auteur peu médiatisé?

M.D. : Tout d’abord je voudrais vous remercier de me qualifier d’ « auteur peu médiatisé » ce qui est une promotion très nette car en réalité je ne suis pas « peu » mais plutôt « pas » médiatisé du tout ! Une parenthèse tout de même pour dire toute ma reconnaissance à la presse dite de « proximité » qui a été très généreuse à mon égard, donc vous avez finalement peut-être raison, je suis un tout petit peu médiatisée.
En ce qui concerne les réactions des lecteurs, je suis plutôt comblée, mais parfois étonnée. Pour la plupart le côté humour/satire prime, mais certains voient des choses beaucoup plus graves. Je suis référencée chez Bibliothèque pour Tous qui catalogue le sujet comme : « adultère, famille recomposée, et création littéraire », ce qui fait assez sérieux alors que le but du livre était de distraire, faire une sorte de conte de fée du 21ième siècle (pour adultes) où chacun trouve son bonheur, même si le dénouement n’est pas forcément très moral. Je revendique totalement cet Happy End, même s’il n’est pas vraiment dans l’air du temps.

L. : Quels sont vos projets? Y a-t-il un autre roman en préparation?

M.D. : J’essaye de me concentrer sur une suite, qui n’en est pas tout à fait une… J’ai aussi un roman en anglais, mais j’y tiens énormément, et j’ai peur du refus, alors il reste dans mes tiroirs. J’ai un autre projet un peu farfelu. Lorsque je suis vraiment bloquée, je me rabats là-dessus et cela me permet de m’amuser, sans perdre totalement mon temps.

L. : Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à mes questions. Comme le veut notre rituel, je vous laisse les derniers mots pour les lecteurs du Biblioblog.

M.D. : Votre dernière question est la plus difficile !
Je voudrais dire à vos lecteurs que j’ai été heureuse de passer ce moment avec eux. J’aimerais beaucoup leur donner rendez-vous pour un prochain roman, mais ayant mis 21 ans pour écrire le premier, ce qui fait une moyenne de 12 pages par an, et tenant compte de mon âge que vous connaissez tous à peu près, lorsque mon prochain roman paraîtra j’ai peur de ne pas être ici pour le voir !