L'écriture est résolument féminine. Là où d'autres s'étalent sur la fébrilité de l'acte, Sallie Bingham effleure l'avant et l'après. Ces instants moites où les gouttes de sueurs perlent sur le velouté de la chair, où l'attente aiguise les sens. Il y a cette langueur propice à la naissance du plaisir, ces infimes détails qui ravivent l'imagination et les fantasmes.

Toutes les associations sont envisagées avec la même délicatesse : du couple gay à la relation triangulaire, du désir entre un jeune étudiant et son professeur, à l'aventure d'une nuit. Ordinairement tabou, la sexualité des séniors est peinte ici avec beaucoup de finesse et de tendresse. Sallie Bingham ne juge jamais et réussit au contraire à faire naître l'envie.
Au-delà de l'érotisme sous-jacent, ces histoires nous parlent d'amour et de générosité. Mais attention, ne confondez pas ces nouvelles avec la collection Harlequin. Sallie Bingham ne tombe jamais dans la mièvrerie ou la facilité. Elle a la pudeur des émotions, et sait qu'il est bien plus enivrant de suggérer que de décrire trop explicitement.

La construction du recueil est également très bien pensée : alors que la première nouvelle, à travers une métaphore à peine voilée de l'abricot, réveille des papillons dans le ventre, les récits glissent peu à peu vers des rivages plus obscurs et difficiles, avant de retrouver la légèreté des débuts.
Il m'a pourtant été très difficile de trouver un extrait représentatif. En effet, chaque passage isolé de son contexte, me paraît très réducteur. Ces nouvelles doivent se lire dans leur globalité pour en apprécier toute la force envoûtante.

Libertinages est une ode aux préliminaires. Un recueil tout en douceur et volupté, à sussurer seul(e) ou à deux.

Extrait :

Charles lui saisit la main sur le plan de travail.
"Je vous trouve très séduisante, dit-il.
- Allons, voyons, je suis assez vieille pour...
- Pourquoi parler encore de votre âge?
- Parce que c'est la vérité. Enfin, entre autres", ajouta-t-elle, mal à l'aise.
Il caressa son bras jusqu'à l'épaule, nue sous la bretelle de sa robe.
"Vous avez un corps magnifique."
Elle était sans voix. Au contact de cette paume sur son épaule nue, elle refaisait connaissance avec la texture de sa propre peau, qu'elle traitait désormais comme un accessoire, qu'elle lavait et essuyait machinalement. Elle essaya de se remémorer d'autres touchers, d'autres fois, mais les années intermédiaires agissaient comme un buvard sur ses souvenirs. Elle rougit, inspira profondément, tenta de se ressaisir.
"Que faites-vous, Charles?"
Sa caresse descendit de l'épaule à la taille et il tourna Caroline vers lui.
"Je vous embrasse", répondit-il.
Ce qu'il fit.
Plus tard Caroline se rappela la chair des abricots, leur légère granulosité, leur moiteur qui ne ruisselait pas comme la douceur des pêches mais absorbait, contenait. Elle se rappela l'aspect laineux de leur peau, leurs noyau bruns, luisants et lisses. Elle se rappela la couture qui courait sur un côté de chaque noyaux, elle se rappela le puissant arôme suave des abricots corsé par l'odeur du vinaigre.

couverture
Éditions Joëlle Losfeld - 154 pages