Tout d’abord, il faut parler photo, parce que de nos jours, il y a photo argentique et photo numérique. Et cette question, qui peut être un détail pour certain, est importante pour l’auteur et pour l’intrigue. En effet, avec la photo argentique, « la dernière photo avait un statut distinct, une saveur particulière. Bien souvent, elle était bâclée, expédiée, pour en finir au plus vite ; mais parfois, elle était au contraire, retardée, soignée, calculée, pour finir en beauté. Alors on rembobinait ».

Lors d’un voyage à Rome avec Clara, la femme avec qui il entretient une relation plus ou moins suivie, Alain Neigel, veuf inconsolable de son état, est abordé par un homme au manteau beige. Giancarlo Romani se présente comme un ex-prêtre enquêteur, attaché à l’Avvocato del Diavolo –« « l’avocat du diable » dans la procédure de canonisation du Vatican. Mr Romani lui fait une proposition assez surprenante. « Il ne vous reste qu’une photo à prendre : je vous propose un voyage ». A la fin de leur séjour, Alain Neigel décide d’en savoir plus et accepte l’aventure.
Et nous voilà partis en un étrange, limite surréaliste, voyage aux côtés de notre veuf, d’un japonais féru de pêche de carpe, un ex-mannequin et Eros (de Bilbao, qui photographie toutes les femmes ou presque avec son téléphone dernier cri pour trouver la femme de sa vie….

Quelle sera donc la dernière photo de nos personnages ? Un paysage, une vue de cet étrange château où chaque fenêtre offre un panorama différent (je vous avais dit que c’était assez étrange parfois) ou une photo de rien, une photo pour rien.
Chacun choisira de prendre ou ne pas prendre LA dernière photo. Mais tous trouveront ce qu’ils cherchent depuis bien des années.

Bien évidemment sous couvert d’un jeu, l’auteur amène le lecteur à se poser quelques petites questions sur l’importance de la vie, les passions qui l’étreignent, celles qui le font vivre, le poussent à aller de l’avant., son rapport avec les autres.

Cela a été une fort plaisante lecture surtout pour une photographe amateur. En plus d’être charmée par cette idée de dernière photo, j’ai apprécié le style de l’auteur très simple et l’humour un peu acerbe parfois qui pointe entre les lignes. C’est très amusant. Un petit livre qui se lit d’une traite… l’instant d’un clic sur votre appareil tant vous perdez la notion du temps à suivre les pérégrinations des personnages.

Mais pour vous ? Quelle sera votre dernière photo ?

Également sur le site, notre interview de Laurent Graff.
Du même auteur : Le cri, La vie sur Mars, Il est des nôtres, Les jours heureux, Voyages, voyage, Selon toute vraisemblance

Dédale

Comme Dédale, je suis tombée sous le charme de cette dernière photo. J'ai retrouvé cette fois ce qui m'avait séduit dans le récit "Le Cri". Laurent Graff nous propose un roman allégorique tout à fait surprenant. L'écriture est élégante, mystérieuse aussi.

Paradoxalement, en quittant le récit réaliste et cynique, en préférant un univers plus onirique, l'auteur se livre plus que dans ses précédentes oeuvres. Et c'est tant mieux.
Je suis maintenant convaincue qu'il y a un avant et un après Le cri. Laurent Graff aborde des thématiques universelles, mais d'une façon toujours surprenante. Je suis donc curieuse maintenant de voir s'il poursuivra dans cette voie. Si c'est le cas, il peut être assuré d'avoir une lectrice de plus. :)

Par Laurence
le 28 décembre 2007


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 30 juin à la suite du "Prix Biblioblog 2008"


Que l'on soit amateur de photographie ou pas ce roman saura vous séduire comme il m'a séduite. Il se lit aussi vite qu'une prise photographique. Le style simple de l'auteur et ses pointes d'humour vous feront passer un agréable moment. Mais vous aussi vous vous demanderez ce que vous prendriez en photo s'il ne vous en reste plus qu'une à prendre !

Arsenik

Le sujet était fait pour me plaire. Énigmatique et proche de mes intérêts les plus puissants. J’ai bien aimé cette lecture au début réaliste et qui sombre rapidement dans une allégorie toute en beauté et en confort. Par moment l’univers m’a rappelé celui du Océan Mer de Barrico. Une lecture fort agréable bien qu’il m’ait semblé parfois que les symboles étaient un peu appuyés (la scène dans les ‘nuages’ comme un paradis, prénommé Eros le personnage qui cherche l’amour, etc.) Malgré tout un bien bel ouvrage.

Catherine

C'est un roman qui ne m'a pas particulièrement marqué, même si j'ai apprécié la lecture. Il ne me laissera pas un souvenir impérissable.
Ceci dit, pour une lecture plaisir, il convient très bien.
Il m'a peut-être manqué le côté "maîtrise technique" de l'appareil photo. Je sais qu'il y a tout un univers particulier qui tourne autour de ce loisir et là nous y mettons les pieds jusqu'au coude. :)
Par contre, comme pour certains autres romans de la sélection, je n'ai encore une fois pas vu la finalité de l'histoire, si ce n'est d'inciter le lecteur à aller au bout du roman pour essayer d'y comprendre quelque chose. De ce point de vue, c'est plus ou moins raté. Je suis allé au bout, mais n'ai pas plus compris...
Une histoire basée sur le principe du fameux "les trois livres que vous emmèneriez sur une île déserte", mais qui tourne à l'obsession, au fantasque et perd le lecteur dans la foulée. Dommage.

Cœurdechene

Quel voyage bizarre ! Entre rêve et réalité.
Une rencontre étrange pousse un homme (en fait il seront cinq personnes) à un dilemme, un voyage initiatique, un choix…
Pour la photographe amateur/averti que j’étais (ne jurant que par l’argentique, las), j’ai dévoré ce livre.
J’y ai (re)trouvé des tics, des sensations et des sentiments mêlés exactement comme lorsque j’avais l’œil rivé à l’œilleton, prête à déclencher…bien sûr la comparaison s’arrête là.
Il ne vous reste qu’une photo à prendre, et vous que choisiriez-vous ? 

 …chaque prise de vue avait une valeur unique, et représentait un petit miracle. La dernière photo avait un statut distinct, une saveur particulière. Bien souvent, elle était bâclée, expédiée, pour en finir au plus vite ; mais parfois, elle était, au contraire, retardée, soignée, calculée, pour finir en beauté. Alors, on rembobinait.

Google

Ce livre décèle des attitudes variées au sujet de la photographie ; le lecteur est invité à les confronter à sa propre manière de l'aborder. Je me suis reconnu dans la négation de l'affirmation du narrateur « Combien de fois j'ai porté à mes yeux mon appareil pour me cacher d'un spectacle que je ne savais voir ? ». Combien de fois au contraire laissai-je mon appareil dans mon sac pour réserver l'image d'une réalité fugitive à mes seuls yeux : je ne suis pas photographe.
La façon du roman de tourner au fantastique m'a irrésistiblement fait penser à Convexe et concave, un dessin d'Escher représentant un ensemble incohérent d'échelles, d'escaliers et de voûtes mais où chaque élément isolé est plausible. Le verbe « escher » m'a sauté aux yeux quelques pages plus loin, ce n'est peut-être pas innocent !
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet étonnant roman fantastique. La manière pittoresque de décrire les lieux fait que les images jaillissent du livre pendant la lecture. (Presque) toutes les pistes où l'on s'aventure sont résolues et avec élégance. Bref, du très bon.
(À propos d'énigmes non résolues, si quelqu'un a compris le pourquoi des chaussures de ski...)

Joël

L’idée de la dernière photo est tout à fait originale, et permet de s’interroger sur le sens qu’on peut donner aux souvenirs, à nos actions, à nos choix. Les thèmes abordés sont donc universels, tout en passant par un sujet ludique.
Ce court roman a eu le mérite de m’emmener, à partir d’une situation qui paraît relativement banale, dans un univers où tous nos repères sont flous. Le début du roman est lui aussi nimbé du mystère qui entoure l’homme à l’imperméable, celui qui organise le jeu. La seconde partie, plus fantastique, est assez réussie et m’a bien plu, alors que je ne suis pas forcément un adepte du genre. Laurent Graff arrive à instiller le fantastique dans son texte, à travers notamment la très belle scène du château et de ses fenêtres.
Mais je suis finalement resté sur ma faim, en sentant que j’arrivais au bout du roman, et que l’intrigue allait prendre fin. En sentant surtout que ce roman pouvait donner à de nombreux autres moments de rêve (dans tous les sens du terme), mais qu’ils ne seraient jamais développés. Malheureusement…

Yohan

Extrait :

J’avais mon appareil photo autour du cou. Un homme s’approcha de nous. Il était grand, mince, et portait un long manteau beige. Il s’adressa à nous en français, avec un accent que je ne reconnus pas, en tout cas, ce n’était pas un accent italien : « je peux vous prendre en photo tous les deux devant la fontaine, si vous voulez. » Je n’eus pas le temps de répondre, Clara me devança : « Oui, c’est gentil. Tu veux bien ? » L’homme allongeait déjà le bras vers mon appareil. Je n’ai pas pu me soustraire. Je lui confiai mon Mamiya et lui indiquai où était le déclencheur. Il hocha la tête en signe d’approbation. Il recula et nous prîmes la pose – Clara passa son bras autour de ma taille. J’entendis clairement le déclic. Notre photographe revient vers nous et me redonna mon appareil. Je voulus m’en saisir, mais il ne le lâcha pas. Nous le tenions tous deux dans nos mains. Je sentais la force de ses doigts imprimée sur le boîtier. Je levais les yeux vers son visage. Il me fixa alors d’un regard intense et autoritaire, ses traits étaient extrêmement graves et intimidants. D’une voix calme, il déclara : « Il ne vous reste q’une photo à prendre. » Et il lâcha l’appareil. Puis il plongea la main dans la poche de son manteau et en retira une carte de visite qu’il me tendit. Sans rien ajouter, il parti et disparut dans la foule.
Nous rentrâmes à l’hôtel. « C’est quoi, cette carte qu’il t’a donnée ? » Je la montrai à Clara. Giancarlo Romani, via Molise, 11.
« Ca va ? Tu as l’air tout bizarre. » Cette nuit-là, je ne dormis pas.

couverture
Éditions du Dilettante - 155 pages