Laurence : Bonjour Ariane et merci de bien vouloir répondre à mes questions.

Ariane Fornia : Tout le plaisir est pour moi !

L. : Pour commencer, et comme à la fin de « Dernière morsure » vous redoutiez ce moment-là, je voulais savoir si votre majorité récente avait changé quelque chose dans votre existence?

A. Fornia : La banque à laquelle dormait l’argent de mes droits d’auteur, sur compte bloqué, m’inonde maintenant de sommations et m’enjoint à gérer raisonnablement – ils craignent sans doute que je dévalise un Séphora. A part ça, ma vie traîne toujours sa petite mécanique.

L. : « Dieux est une femme » est sorti en 2004. Publier un premier roman n'est pas anodin, mais quand on a en plus 14 ans, c'est un véritable exploit. Comment avez-vous trouvé le courage de proposer votre texte à un éditeur? Le chemin a-t-il été difficile pour que votre roman soit finalement publié?

A. Fornia : J’ai eu une telle chance que j’ai mis plusieurs années à m’en apercevoir. J’ai envoyé le manuscrit à Denoël, ils l’ont accepté immédiatement, et à l’époque, gamine inconsciente, je ne m’en étonnais pas vraiment. C’est seulement aujourd’hui que je réalise ce qui m’est arrivé. J’aurais pu, comme tant d’auteurs, essuyer des dizaines de refus, me retrouver noyée dans le flot des dizaines de milliers de manuscrits qui échouent dans les maisons d’édition… Maintenant, j’ai conscience du miracle, et cela a quelque chose d’angoissant.

L. : Dans « Dieu est une femme », vous écrivez « Finalement, la Haine est beaucoup plus intéressante que l'Amour ». Êtes-vous toujours d'accord avec cette pensée?

A. Fornia : Je suis toujours à la recherche de sentiments forts et d’expériences hors du commun… alors que je poursuis sagement mon cursus universitaire et mon insertion dans une vie bien rangée. Le combat entre conformisme et rêves débridés a toujours fait rage en moi, et j’y ai été très tôt sensible… Rockstar nomade ou femme au foyer experte du gratin aux courgettes, les deux me tentent et j’hésite…

L. : Toujours dans votre premier roman, vous regrettiez d'être connue en tant que « fille de... » : « les stars se plaignent parfois de leur célébrité; moi c'est pire, je ne suis rien du tout, et j'arrive quand même à me faire haïr dès j'erre, faute de mieux, au collège ou dans ma petite ville paumée. » Or j'ai pu constater, que maintenant que vous avez de bonnes raisons d'être connue, les journalistes continuent malheureusement de se focaliser sur votre ascendance. Cela ne vous exaspère-t-il pas?

A. Fornia : Le temps me donnera raison… Dans trente, quarante, cinquante ans, j’écrirai toujours – si je vis ! – et on finira bien par se lasser de mon arbre généalogique !

L. : « Dieu est une femme » est dans la droite lignée des journaux intimes. Vous y racontez les différents événements de votre quotidien d'ado et les réflexions que cela suscite. Comment s'est déroulé le processus d'écriture? Est-ce réellement une écriture au jour le jour, ou un montage subtile d'un récit plus construit qu'il n'y paraît de prime abord?

A. Fornia : Quand j’ai commencé à écrire Dieu est une femme, je savais que je le proposerais à un éditeur. Cela n’a donc jamais été un journal intime, même si la structure est chronologique.

L. : Quelques années plus tard, vous avez publié avec votre mère « La déliaison », un récit à double voix, sur les rapports mère-fille au moment de l'adolescence. Comment est venue cette envie d'écrire ensemble?

A. Fornia : L’été suivant la sortie de Dieu est une femme, l’idée nous est venue spontanément. Ni l’une ni l’autre ne sait laquelle a dit « si on écrivait un roman à deux ? », on a vraiment l’impression que cela a surgi tout à coup… Nous sommes convenues d’une trame à respecter, et avons tout de suite commencé l’écriture, un chapitre après l’autre. Nous avons passé l’été enfermées, absorbées par le jeu.

L. : Les chapitres se suivent comme un dialogue impossible. Chacune voit le monde à travers le miroir déformant de son vécu. Comment s'est déroulée l'écriture?

A. Fornia : Ma mère écrivait un chapitre, j’écrivais le suivant, et ainsi de suite… Nous trépignons d’impatience à chaque fois que c’était l’autre qui écrivait, car nous étions forcées d’attendre pour continuer à écrire… Reprendre l’histoire là où ma mère l’avait laissée était quelque chose de très excitant, même si, parfois, nous avions des conflits de plume : « Mais qu’est-ce que tu as fait à mon personnage ?! Non, il faut que tu changes ça ! » « Mais tu peux pas écrire ça ! »

L. : Écrire « à quatre mains » et une expérience toujours un peu inhabituelle. Cela vous a-t-il permis de mieux vous comprendre?

A. Fornia : Cela nous a permis, protégées par la fiction, de dire beaucoup de choses, et peut-être, de tuer des conflits dans l’œuf. Mais pour écrire à quatre mains, et surtout pour écrire l’histoire d’une séparation, il faut une grande confiance et une immense complicité…

L. : « Dieu et une femme » et « Dernière morsure » sont clairement des récits autobiographiques. Concernant « La déliaison », le lecteur sent bien que les deux héroïnes, Viviane et Claire, sont proches de vous, mais quelle est la part réelle et la part romancée de cette œuvre?

A. Fornia : Il y a, selon moi, un travail proche de celui du peintre ou du cinéaste dans l’écriture. Il faut un décor dans lequel tourner. Je ne pourrais pas écrire un roman se déroulant au Néolithique. J’ai besoin d’un cadre dans lequel je peux plonger mes personnages. Dans La Déliaison comme dans tout ce que j’écris, la matière, les objets, les atmosphères sont tirées du réel – de la même façon qu’un réalisateur a besoin d’acteurs et d’accessoires pour mettre en scène son histoire. Après, on crée l’intrigue, on découpe et recolle la réalité avec un montage radicalement différent, et La Déliaison est une vraie fiction.

L. : Dans « Dernière morsure », on vous sent effectivement beaucoup plus mordante que dans vos deux précédents romans. Le style est plus incisif, plus drôle. Il y a ce recul dont vous manquiez peut-être un peu dans les deux autres. Comment est venu l'idée de cet abécédaire?

A. Fornia : L’idée de l’abécédaire est venue à la fin. Il manquait au livre quelque chose de synthétique, qui corresponde à mon envie d’offrir un catalogue-bilan de l’adolescence. C’était un jeu agréable, condenser le monde qui a été le mien en vingt-six clés.

L. : Aviez-vous dès le départ l'intention de faire un récit sur ce registre acerbe?

A. Fornia : Oui. Je savais que les jours d’adolescence m’étaient comptés, et je voulais écrire mon testament ! Et puis, on ne dresse pas un inventaire de la jeunesse à l’eau de rose, ça serait l’insulter : nous sommes la génération de l’humour noir, du cynisme et de l’autodérision !

L. : Le mois dernier, en évoquant votre roman, j'expliquai avoir moins apprécié les trois derniers chapitres, qui à mon sens, dénotaient par rapport au ton du livre. Or, à ma grande surprise, vous avez répondu en commentaire en avoir beaucoup parlé avec votre éditrice. Étiez-vous donc consciente de cette rupture dans la narration et de l'effet qu'il risquait de provoquer chez le lecteur?

A. Fornia : Je pensais que cette rupture était nécessaire, pour que le lecteur ne ressorte pas du livre gavé de cynisme et sans avoir aperçu une étincelle de sincérité… Des chapitres comme l’abécédaire sont très distanciés, je donne l’impression d’être totalement étrangère à ce que je raconte, or c’est faux. Ma légitimité à parler de l’adolescence était justement d’en être une, et de traverser les tourments que je brocarde, c’est pour cela que des chapitres plus « vrais » comme Vertige de l’adolescence me paraissaient nécessaires…

L. : Dans « Dieu est une femme », vous écrivez : « j'ai peur de savoir que, dans quelques années, je mépriserai immanquablement l'Ariane actuelle. » Quel regard portez vous sur vos précédents romans?

A. Fornia : Bien sur, j’ai évolué, mûri, gagné en maîtrise, mais… je ne me renie pas.

L. : Jusqu'à présent, tous vos récits étaient autobiographiques. Pensez-vous vous essayer d'ici quelques années à la fiction?

A. Fornia : La Déliaison est une fiction, absolument une fiction ! Dernière morsure est un livre qui ne parle presque pas de moi – comme je le disais plus haut, seul le chapitre Vertige de l’adolescence est vraiment autobiographique. Dans Dernière morsure, je suis là parce qu’il faut quelqu’un pour raconter. L’intérêt du livre, c’est le portrait que je dresse de l’adolescence, pas le mien… Seul Dieu est une femme est autobiographique, et encore, je crois qu’il est globalement plus centré sur des éléments extérieurs à moi et se rapproche donc plus de la chronique.

L. : Le genre autobiographique n'a-t-il pas ses limites?

A. Fornia : Bien sûr que si. Mais selon moi, la vraie chronique ne rentre pas dans l’autobiographie. L’abécédaire de Dernière morsure ne peut pas être qualifié d’autobiographique, par exemple.

L. : Et d'ailleurs, avez-vous déjà des projets d'écriture en cours? Ou votre entrée en hypokhâgne met-elle pour le moment vos désirs d'écriture en suspens?

A. Fornia : Depuis plus d’un an, un roman me hante, et il ne me lâchera pas tant qu’il ne sera pas né. J’ai essayé de l’écrire en hypokhâgne, j’ai une centaine de pages… mais elles sont inutilisables. Certains morceaux sont bons, l’ensemble ne tient pas la route. Tout simplement parce que ce livre a été écrit entre cinq et sept heures du matin, par une étudiante épuisée qui s’était couchée à minuit la veille pour finir sa dissertation et devait encore écrire la conclusion vite fait pendant le petit-déjeuner. Dans ces conditions, c’est difficile d’être bon plus de cinq lignes d’affilée ! Le roman sera donc entièrement réécrit à la fin de l’année. Je suis maintenant en khâgne, ma dose de travail a été doublée par rapport à l’hypo, je ne peux donc absolument pas le faire maintenant… mais je remplis un cahier de notes, de bribes d’idées, d’indications sur l’histoire ou les personnages, de mini-moments… Je suis un peu superstitieuse, je n’aime pas parler des projets encore inachevés… Tout ce que je peux donc dire de ce futur bébé est que les personnages évoluent en Allemagne (pour vous qui m’avez lue, quelle surprise !;)).

L. : Avant que vous ne livriez vos derniers mots pour nos visiteurs, comme c'est de tradition sur ce site, je tenais à vous remercier une fois de plus d'avoir répondu à cette interview. Et maintenant, je vous laisse conclure cet entretien.

A. Fornia : Cela a été un grand plaisir de répondre à vos questions. Je voulais encore une fois vous féliciter pour la qualité de ce blog et pour vos qualités de lectrice. C’est une joie étrange pour une gamine de dix-huit ans de se savoir lue et écoutée… Merci de prêter attention à mes livres, merci de me permettre de faire ce que j’aime.