Toujours avec son écriture fluide, sans artifices, toute en délicatesse ou cruelle si nécessaire, l'auteure nous fait découvrir une île, la vie à cette époque de l'Histoire via le regard de son narrateur, Raj. A l'âge adulte, ce dernier raconte, ressasse ses souvenirs. On découvre un enfant plongé dans les affres de la douleur suite à la perte de ses frères aimés, de son incompréhension du monde des adultes, de la violence de son père, de sa solitude pesante que seules les beautés de la nature et la forêt où il va se réfugier, lui apportent un peu de calme et de sérénité. Ses liens très forts avec sa mère, la tendresse de celle-ci, sont ses autres havres de paix. Et puis, David, orphelin juif, exilé pour fuir le nazisme mais qui n'atteindra jamais l'Erezt, la Terre promise car déporté sur une île au bout du monde.

Au milieu de ces désastres – à des échelles différentes mais tout aussi dévastateurs -, les deux amis vont retrouver un temps l'insouciance de l'enfance, une légèreté qui fait que cette histoire ne tombera pas dans un pathos incongru. C'est poignant mais jamais larmoyant.

Même si parfois quelques longueurs ou répétitions peuvent apparaître ici ou là, je les ai prises comme des preuves du ressassement de souvenirs douloureux, la tristesse et les remords d'un homme âgé marqué à vif dans son enfance. Il est des plaies qui ne se referment jamais.

Je voulais m'arrêter là dans mon commentaire, mais en cherchant un extrait à vous donner lire, je n'ai fait que tomber sur les endroits où Raj parle de sa mère. Car ce roman est aussi un superbe portrait plein de tendresse et d'amour que ce septuagénaire fait de sa mère. C'est vraiment de toute beauté à l'image du cœur de cette femme, le « côté tendre de sa vie de misère ».

Une touchante histoire. Un roman intelligemment écrit. Un bon moment de lecture.

Du même auteur : Les rochers de poudre d'or, Blue Bay Palace et La noce d'Anna

Voir aussi l'interview de Nathacha Appanah accordée au Biblioblog

Dédale

Extrait :

Ma mère était dans la clairière et elle tenait quelque chose dans es mains qu'elle ne lâchait pas des yeux. Elle avançait prudemment vers nous comme si elle avait senti notre présence.
..
J'étais à deux pas de ma mère. Évidemment, je n'avais rien trouvé d'intelligent à dire. David s'est décalé un peu vers la droite et il a dit, en redressant le dos :
- Bonjour madame, je m'appelle David et je viens de Prague.
Ma mère a froncé les sourcils, m'a regardé comme pour me sonder et découvrir la vérité, a entrouvert la bouche et alors il s'est passé quelque chose d'incroyable, comme dans les contes merveilleux. Ma mère tenait entre ses mains une perruche rouge. C'était à l'époque un oiseau rare. Si ma mère avait le pouvoir de tuer les rats, les serpents et les scorpions avec des mixtures dont elle détenait le secret, elle avait aussi la bonté de recueillir des oiseaux et de les réchauffer dans ses mains, de leur donner à boire, sa paume en sébile, indifférente aux coups de bec, patiente et tendre. Elle avait recueilli la perruche et je pense qu'elle l'avait nourrie de ces graines magiques qu'elle sortait de nulle part.
Surprise par la présence de David, par ses mots, ma mère a eu un mouvement de la main et la perruche s'est envolée. Nouns n'entendions que le battement de ses ailes et nous étions éblouis par sa couleur rouge et vive qui se découpait contre le ciel bleu. Tel un enfant qui apprendrait à marcher, sa vigueur est retombée un peu, la perruche est redescendue en dessinant un cercle et elle s'est posée sur la tête de David. Il faut imaginer cet oiseau majestueux tout en plumes rouge vif et douces, coiffé d'une houppette hérissée, des yeux frétillants et noirs, une longue queue de deux ou trois longues plumes comme une traîne de reine, se poser sur les boucles blondes de David, comme si de nos trois têtes il avait choisi la plus accueillante.

couverture
Éditions de L'Olivier - 211 pages