Alors qu'il n'avait pas encore un an, Silver fut adopté par un couple d'américains sociologues qui désiraient l'étudier et le voir évoluer dans "un milieu enrichi".
Silver se montra un élève doué : après avoir réussi à maîtriser l'usage des couverts et de la brosse à dents, voilà qu'il se met à dépasser les espérances de ses parents adoptifs. La lecture, le désir charnel et les règles de bienséance n'auront bientôt plus de secret pour lui. Il ne lui manquerait plus que la parole... Mais est-ce si sûr?

La société décide alors, par l'intermédiaire de quelques écologistes extrémistes, de le rendre à sa "véritable nature". Mais Silver est-il plus singe qu'humain? Comment acceptera-t-il cette régression? Quelle est la part d'inné et d'acquis?

Pablo Urbangui, à travers ce récit, nous propose une véritable réflexion sur notre condition humaine. Si même la parole ne nous distingue plus des animaux, que nous reste-t-il? Et surtout, sommes nous prêts à renoncer à ce privilège?

Dans ce roman, la critique est double : bien sûr, l'auteur dénonce les pratiques scientifiques, qui sous le prétexte de faire avancer les connaissances, pervertissent la nature.
Mais la critique devient encore plus virulente s'agissant des défenseurs d'une soi-disant nature retrouvée.

Silver, quant à lui, pris dans la fébrilité des décisions humaines, tente de conserver ses esprits et philosophe pour donner un sens à son existence. En fermant le roman, on ne peut s'empêcher de se demander qui est le plus "raisonnable" de l'homme ou du singe.

Extrait :

- On va voir si tu réponds à l'appel de la jungle. Quelques secondes plus tard, des coups de tam-tam sortirent d'un haut-parleur, des cris de Noirs, des rugissements de lion, des barrissements d'éléphant, des rires d'hyènes (le docteur, charmé, souriait), des coups secs, des branches agitées, des rugissements qui, je suppose, devaient être des rugissements de gorille et qui m'auraient peut-être fait réagir d'une certaine façon, n'eût été que tout l'enregistrement me rappelait les films de Tarzan que je regardais à la télévision. Cependant, même si le docteur s'était laissé distraire par l'enregistrement, il se rendit bien compte que je n'avais pas émis le moindre nik.
- Hum, tu as perdu toute ta capacité de réaction sauvage. Ces idiots t'ont détruit. Tu n'as même pas répondu aux gémissements de désir de la gorille femelle, et la provocation du rival ne te stimule pas non plus. Ou bien tu es trop jeune ou bien tu préfères Dianne, hum hum. Il réfléchit un instant. J'ai besoin d'un son de toi de façon impérieuse. Si la Société humaine protectrice des animaux se rend compte de ce que je vais te faire, je perds mon poste. Heureusement, il n'existe pas encore de société protectrice des gorilles et leurs droits ont encre la couche aux fesses. Pardonne-moi mon petit, tu feras comme si tu n'avais rien vu.
Il recula de deux pas, en oubliant que je n'étais pas attaché, il prit son élan et il me donna un coup de poing dans le ventre. C'en était trop; je me levai furieux, je faillis avaler le microphone qu'il me tendait, je le rpis par le cou et le lançai sur une table qui s'écroula avec les magnétophones. Tandis qu'il se relevait et disparaissait en courant vers la porte, je criai :
- Professeur de merde !
Ce furent mes premiers mots d'être humain.

couverture
Éditions Balzac Le griot - 273 pages