Il rêve de liberté. Le déclic se produit quand il fait éclater une goyave. Il prend un bus et se réfugie dans les branches d'un goyavier. Il semble s'être métamorphosé en gourou et les habitants de la ville voisine viennent profiter de sa sagesse. Sa famille s'installe à ses côtés pour profiter de la situation, mais le petit commerce est soudain perturbé par des singes alcooliques qui s'installent dans l'arbre de Sampath. Toutes les autorités de la ville tentent de monter des plans pour rendre au refuge du saint homme toute sa quiétude.

C'est un roman plein de situations surréalistes. L'attirance des nombreux pèlerins pour ce jeune homme qui débite des banalités est surprenante et le sérieux avec lequel les autorités gèrent ce phénomène est amusant. Le contraste entre la liberté que cherchait Sampath en montant dans l'arbre pour fuir sa famille et l'exploitation de sa situation par celle-ci une fois qu'il est devenu célèbre est assez saisissant. La complicité entre Sampath et les singes diffère aussi de l'ardeur des citadins à l'en débarrasser.

Le gourou sur la branche est le premier roman de Kiran Desai. Elle a reçu en 2006 le Man Booker Prize pour son deuxième roman La perte en héritage.
Elle est aussi la fille de la romancière Anita Desai.

Par Joël


Presque un an après le billet de Joël, voilà que je vous propose à mon tour mes impressions sur ce roman.

La première chose qui m'a marquée, c'est que nous sommes ici très proches d'un conte philosophique. En effet, au-delà de l'intrigue elle-même, dont Joël a souligné l'humour et le côté surréaliste, j'y ai vu une critique saisissante des travers de l'Inde. Sous une forme a priori anodine, Kiran Desai en profite pour mettre à jour les dysfonctionnements de l'administration, la condition féminine, ou encore les relations hiérarchiques entre les différentes castes. Plus qu'un récit amusant, c'est donc également une façon détournée de découvrir ce pays aux traditions parfois étranges pour un(e) européenne.

Un autre point m'a réellement séduite dans ce roman, c'est l'écriture très sensuelle de l'auteur dès qu'il s'agit d'évoquer la cuisine. La mère de Sampath a depuis toujours un rapport fusionnel, à la limite de la folie, avec la nourriture. Les épisodes qui lui sont consacrés sont de véritables éloges aux sens : le goût, la vue, l'odorat, le toucher sont en perpétuel éveil, et Kiran Desai signe ici des passages d'une grande poésie.

Laurence
06 décembre 2008

Extrait :

Sampath regardait du haut de son arbre ses charmants visiteurs.

« Pourquoi y a-t-il tant d'opinions divergentes concernant la nature divine ? demanda un espion déguisé de la Ligue de la libre pensée (la L.L.P.), de surcroît membre de l'Organisation de dépistage des ermites charlatans (l'O.D.E.C.). Pour certains, Dieu a une substance. Pour d'autres, il est insubstantiel. Pourquoi toute cette controverse ?

- L'inspecteur des ponts et chaussées se déplace un jour pour voir le fleuve, répondit Sampath l'Innocent, mais c'est au plus fort de la mousson. Aussi rentre-t-il chez lui en disant que le fleuve n'est qu'une immense nappe d'eau, avec des vagues très hautes. Quelques mois plus tard, sa tantine fait le même voyage et revient en disant : "Il est bien triste de constater que mon neveu n'est pas très malin. Ce fleuve n'est rien d'autre qu'un filet d'eau sale." Au beau milieu de l'été, c'est au tour d'un voisin de se rendre sur les lieux et de déclarer à son retour : "Quelle bande de crétins dans cette famille ! Le fleuve n'est qu'une vaste étendue de boue séchée."

- Est-ce qu'on comprendra jamais tout ce qu'il a à savoir de Dieu ? demanda quelqu'un d'autre.

- Quand la bouteille est cassée, il n'y a plus moyen de distinguer l'air qu'elle contenait de l'air du dehors.

- Baba, peux-tu nous parler du problème de l'agitation religieuse dans notre pays ?

- Vous n'avez jamais entendu une belle-mère crier à sa belle-fille : "Ce n'est pas comme ça qu'on prépare le dal !" ? Elle pense, bien entendu, que sa manière à elle de le préparer est la seule valable. Il n'empêche qu'au nord, au sud, à l'est comme à l'ouest, tout le monde mange des lentilles sous une forme ou sous une autre et constate leurs effets bénéfiques.

[...]

L'espion prit des notes dans un cahier d'écolier et, dubitatif, se gratta la tête.

couverture
Le Livre de Poche - 253 pages
Traduit de l'anglais par Jean Demanuelli