Le roman est constitué d'une alternance de chapitres courts dont les narrateurs sont la Chinoise et l'officier japonais. La Chinoise ignore que son adversaire est un officier japonais et lui qu'elle est intimement liée à un groupe de résistants. Il est convaincu de la supériorité du Japon sur la Chine ; de son côté, elle déteste les japonais.

Pour les deux joueurs, la partie de go est un moyen de se réfugier du monde extérieur. Ils ne se connaissent pas, mais au fil des jours, ils dévoilent progressivement leur âme à leur adversaire via leur manière de jouer : le temps de réflexion, la manière de poser les pions, la tactique.

Pendant ce temps, l'armée d'occupation broie les mouvements de résistance, brûle et pille des villages, torture, viole.

De nombreux rêves et cauchemars des deux personnages principaux s'insèrent dans le texte sans avertissement, nous faisant ressentir la confusion du réveil avec les personnages. Le style très imagé de l'auteur est très plaisant. La fin est sublime.

Par Joël

Extrait :

Au loin, une jeune femme occupée à jouer contre elle-même. Chez nous, il est impensable qu'une femme demeure seule dans un lieu fréquenté par les hommes. Intrigué, je m'approche.
Elle est plus jeune que je ne l'imaginais, et porte une robe de collégienne. La tête appuyée dans le creux de sa main, elle est plongée dans sa réflexion. Sur le damier, les pions placés avec intelligence m'incitent à un examen plus attentif.
Elle lève la tête, front large, yeux bridés comme deux feuilles de saule délicatement dessinées. Je crois voir Lumière à l'âge de seize ans. Cette illusion s'évanouit aussitôt. L'apprentie geisha avait la beauté timide, recroquevillée. La Chinoise m'observe sans rougir. Chez nous, l'élégance est pâle et les femmes fuient la soleil. À force de jouer en plein air, la gamine a le visage nimbé d'un charme étrange. Son regard atteint mes prunelles savant que je ne baisse les yeux.
Elle m'invite à une partie de go. Je fais le difficile pour rendre mon rôle plus crédible.

[...]

La Chinoise n'aime pas le bavardage. Elle ne me pose aucune question et me presse de commencer. Dès son premier coup, elle impose un jeu pervers et extravagant.

* * *

Mon affectation en Chine m'a permis de comprendre la grandeur et la misère du soldat. Conduit par l'ordre, il se déplace en ignorant la direction et le sens de sa marche. Un pion parmi d'autres. Il vit et meurt, anonyme, pour la victoire du Tout. Le go me transforme en état-major qui manie ses hommes avec froideur. Les pions progressent. Beaucoup sont condamnés à périr encerclés au profit d'une stratégie.
Leur trépas se confond avec celui de mes camarades.

couverture
Éditions Folio Gallimard - 326 pages