Jusque là, Monsieur Humbert avait exercé son métier sans se poser de question. Après tout, son père et son arrière grand-père étaient déjà dans la "partie". Il lui ont enseigné le goût du travail bien fait, le respect et la rigueur nécessaire à cette activité.
Sauf qu'il y a quelque temps, Monsieur humbert a rencontré Nicole, une jeune femme pimpante et enjouée. Alors qu'elle n'avait trop rien dit au moment où elle avait appris le second métier de son ami, voici que ce lundi-là, juste avant son départ, elle lui demande plus de détails et lui pose des questions qu'il ne s'était jamais posé. Il n'en faudra pas plus pour ébranler toute les certitudes de Monsieur Humbert.

Mano Gentil propose ici un roman choc pour les adolescents (à partir de 14 ans) mais pas seulement. En effet, j'ai d'abord été surprise de voir ce récit publié en collection jeunesse. Je trouvais le propos particulièrement dur et le style parfois un peu cru. Mais après tout, si l'adolescent est accompagné dans sa lecture, pourquoi ne pas en profiter pour lui montrer qu'il n'y a pas si longtemps que ça, en France, on assassinait encore des assassins.

J'ai particulièrement aimé cette narration à la première personne. Être dans la tête du bourreau et suivre les méandres de ses réflexions. Bien sûr, cela ne met pas toujours à l'aise, loin de là... Certains passages sont particulièrement difficiles : en effet, écouter cet homme nous narrer par le détail les préparatifs, les rituels, avec une froideur technique, est très déstabilisant.
Plus j'avançais dans le roman et plus j'avais la certitude de lire le pendant du Dernier jour d'un condamné. Là où Victor Hugo nous propose de nous mettre dans la tête de la victime, Mano Gentil nous invite dans la tête de l'exécuteur. Les deux récits, par des voies opposées, atteignent le même objectif : montrer l'horreur de la peine de mort.
Un roman à lire donc, si l'on a le cœur suffisamment bien accroché, que l'on soit adolescent ou déjà bien grand.

Extrait :

Malgré le bel exemple de mon père, je n'ai jamais voulu occuper la place d'exécuteur en chef. Les quelques fois où je me suis vu proposer ce poste, j'ai refusé en arguant que la place de "photographe" m'était toute destinée. En effet, ma carrure me permet d'immobiliser aisément le condamné à mort dans la lunette. Il e faut pas que, dans un dernier instinct de survie, il rétracte la tête dans les épaules. Et c'est là que le rôle du "photographe" est primordial : saisir le condamné derrière les oreilles et le maintenir au moment où la lame tombe.
- Il faut donc de la force et de la détermination, m'avait dit mon père. Un bon photographe permet au condamné de mourir proprement.

C'est cette idée de propreté, de travail bien réalisé qui m'a fait préférer cette fonction à une autre. Mais je crois que le terme de "photographe" m'a séduit dès ma plus tendre enfance. À l'époque, mon père était dans l'équipe des exécuteurs de France et je me plaisir à répondre à mes camarades qui m'interrogeaient sur sa profession :
- Il est cordonner, mais il est aussi photographe.
J'aimais entretenir cette confusion chez les autres et pour moi-même.

couverture
Éditions Syros - 148 pages