Dès les première lignes, Franz Bartelt s'amuse et nous avec. Dans une phrase volontairement à rallonge, il plante le décor de son récit : un petit village bien français qui a des ambitions internationales. Son maire, Monsieur Balbe, voit grand, très grand. Il est persuadé que Cons est "la pierre angulaire du carrefour incontournable que représente [sa] région, cœur du continent depuis les débuts du monde et plaque tournante des futurs.". Il trouve d'ailleurs sa formule encore plus belle que les perspectives de sa commune.
Monsieur Balbe est donc un maire qui aime s'écouter parler et pour ce faire, il n'hésite pas à prendre des décisions qui pourraient paraître surprenantes à quiconque n'est pas natif de Cons. C'est ainsi qu'un arrêté municipal interdit désormais aux chiens de se promener dans les rues du village. Ce qui ne manque pas de poser divers problèmes. Mais qu'importe, Monsieur Balbe a toujours une solution en réserve, et c'est pour cela que ses administrés l'aiment tant :

En effet, à Cons, où il ne se passait rien, les chats et les chiens s'ennuyaient, parfois gravement, et cela causait de grands soucis à leurs maîtres, qui sombraient par suite dans une mélancolie que ni les tisanes ni la télévision ne savaient guérir. Les chiens surtout étaient sujets à la démoralisation. [...] Le bon côté, c'était que les rues étaient nettes de toutes déjections et qu'on pouvait poser le pied n'importe où sans craindre le moelleux détestable d'une mauvaise surprise. Le revers de la médaille, c'était que les chiens, qui sont d'une nature errante, quoique ponctuels à l'heure de la gamelle, perdaient leur énergie, leur joie de vivre et leur disponibilité de fidèles compagnons de l'homme. Les jours de soleil, ils s'amusaient bien un peu à poursuivre leur ombre dans les cours. Quelquefois, un oiseau imprudent réveillait en eux l'instinct jovial du chasseur. Mais, dans l'ensemble, ces plaisirs ne duraient pas.
M. Balbe avait eu alors l'idée de génie. Et, la soumettant à Chéchème, dont les réserves de nourriture et leur proximité avec la Lombe attiraient les rats, il avait conçu une vaste thérapie en faveur des animaux "consiens comme tout un chacun à Cons". Depuis lors, le raticide avait disparu de l'épicerie, et la Capouilles veillait sans sauvagerie à la cueillette, avec ce doigté qui estourbit et n'occasionne pas de dommage.
Chaque mois, une dizaine de bestioles étaient proposées à la vente. Les chiens de Cons revivaient.

Mais M. Balbe n'est pas seul a assumer la lourde tâche de l'administration de Cons. Il est aidé par sa fidèle et tendre épouse, réincarnation irrésistible de la Dame aux Camélias. Madame Balbe est en effet sujette aux saignements, aussi multiples qu'invraisemblables, et occupe la fonction de dame patronnesse auprès de la gent féminine du village.
Tout va donc merveilleusement bien dans l'idyllique commune de Cons.

... enfin pas tout à fait. Il y a tout même un léger grain de sable, qui pourrait à terme empêcher Cons de devenir "la pierre angulaire et la plaque tournante des futurs".
Ce grain de sable, c'est le couple Capouilles : Mortimer et Constance. Oh, ils ne sont pas méchants, bien au contraire. Tous les villageois reconnaissent leur bonne volonté et les menus services qu'ils rendent à la collectivité. Mais franchement, un couple de clochards, vivant dans un taudis, plus sales que des animaux, voilà qui ne correspond pas aux prétentions des habitants de Cons. M. Balbe, décide donc de faire d'une pierre deux coups :
en construisant avec l'aide de tous, La Belle Maison, et en l'offrant généreusement au Capouilles, ils font disparaître cette image peu reluisante, tout en se donnant la bonne conscience d'une œuvre humanitaire.

Mais et les Capouilles dans tout ça? Sont-ils seulement d'accord avec ce projet? À vrai dire, les Consiens ne se posent même pas la question.

Franz Bartelt nous offre un roman truculent sur la vie rurale et ses habitants. Bien sûr, le trait est forcé; bien évidemment les Consiens sont tout de même une espèce à part. Mais c'est justement parce Franz Bartelt verse dans la caricature que tout cela est réjouissant. Et plus les situations et dialogues consiens sont à peine vraisemblables, plus l'histoire du couple des Capouilles nous touche par sa gravité.
Car les Capouilles sont bien loin de l'image que se font d'eux les villageois. On s'attache immédiatement à ces deux éclopés et les passages qui leur sont consacrés sont poétiques et émouvants.
Deux univers donc, qui vont s'entrechoquer. Et toute la question est de savoir ce qu'il va ressortir de tout ça.

Une lecture sympathique, qui sous une apparente légèreté nous parle de thèmes universels.

Du même auteur : Parures, Le jardin du bossu, Le bar des habitudes, Je ne sais pas parler

Laurence

Extrait :

"Curé à Cons, c'est tout de même la bonne petite place! disait [M.Balbe]. On en le tuerait pas au travail ! Un petit baptême de temps en temps, histoire de vérifier si la salière n'est pas bouchée! Une bonne petite procession à la mode de dans le temps à la Fête-Dieu et à l'Assomption, dans les champs, sous le ciel, au bon aire consien! Un enterrement par-ci par-là, mais à Cons, on ne meurt pas, c'est assez connu ! En tout cas, jamais avant d'avoir prévenu au moins six mois à l'avance! C'est la mode ici! Six mois! Quand même, en six mois, on a le temps de se retourner, non?"
Mais sa sainte et fidème colère, souvent réitérée, n'avait pas provoqué le miracle escompté. À la fin, lors d'une rencontre mémorable et violente avec l'évêque, n'en pouvant plus de vanter les privilèges extraordinaires et exceptionnels qui seraient accordés à un prêtre définitivement basé à Cons, M. Balbe, se laissant emporter par la cause qu'il défendait, eut ces paroles, sincères, mais peut-être malheureuse :
"Envoyez-nous quelqu'un, un jeune par exemple, la commune se charge de sa formation!"

couverture
Éditions Le Dilettante - 192 pages