Son écriture croque avec acuité l’absurde, le cruel et le dérisoire de nos vies, de notre monde, mais toujours, pour reprendre le titre d’un poème un ton sous l’ironie.
C’est avec compassion que ces textes «qui ont le goût et la couleur de la banlieue, mais n’en sont pas» évoquent le clochard «à six heures, au sortir du carton» (Sous le pont) ou « Dans le wagon aux tags rupestres / […] ce peuple / […] poussé par une soif / dont il ignore jusqu’au nom » (Des heures d’influence).
Ce qui frappe aussi, c’est la conscience, très grande tradition poétique, de la fuite du temps, aiguë, mais parfaitement assumée : « Être cela / une forme qui traverse » (D’un six milliardième). « Cette vie où chacun forcément / a oublié quelque chose, quelque part » (De l’avenue) offre à qui sait les saisir une foule de petits miracles : « un ange / étrennant des patins à roulettes » (Édouard, Tan, Abdel ou Yacouba), « les empreintes / s’évaporant sur le carrelage » du nu qui vient de traverser la cuisine (Les amants) et dans le musée « Le sifflet en terre cuite / ocre / exhumé à dix mille kilomètres / le rayon matinal / le porte à ses lèvres ».
Car bien que tout nous échappe, bien qu’on doive s’attendre à « la victoire aux échecs d’une intelligence artificielle », il y a du permanent dans l’homme : dans l’image de « l’arabe sans âge / qui ramène au troupeau / les caddies / éparpillés… » se disent à la fois l’aliénation de l’émigré et une sorte d’éternité.

Chaque texte est ciselé, sans mot de trop, simple et parfaitement musical. Dans ce qui sert de postface, Gérard Noiret cite Jacques Bouveresse : « Les choses les plus importantes ne peuvent pas se dire, mais seulement se montrer » et il explique : « j’écris aussi ( et, au final, surtout) les silences ». On peut estimer l’entreprise réussie et créditer Gérard Noiret de cette « singularité humaine » à laquelle il aspire.

Par jnf

Extrait :

Chaque matin, le nu de 7h01 traverse le couloir.
Lui, de la cuisine, tourne les yeux
afin de saisir au vol cet éclair.
Le prodige accompli, les empreintes
s’évaporant sur le carrelage, il boit son café
et n’a aucun mal
à imaginer Sisyphe heureux.

couverture
Éditions Obsidiane - 118 pages