Dans son territoire Lila n’accepte que Claire et son mari, la jeune et nouvelle locataire Violette, Simon et sa famille, famille élargie cet été par la présence du jeune Jérémie. C’est moins qu’un village, ce n’est pas une cellule familiale, c’est l’addition de vies humaines dans leurs splendeurs et leurs douleurs, de vies humaines qui viennent panser leurs plaies dans la campagne… dans la champagne. Le fil conducteur de ce roman, c’est la nature et les dangers qui la guette et qui ont tendance, de générations en générations, à porter le même nom : Clémont.

Voici un ouvrage intéressant qui crée un univers à part dans lequel on a l’impression d’habiter pendant les heures de lecture. Le vocabulaire précis se marie à une plume vive, une psychologie des personnages souvent chirurgicale. Les personnages sont riches, intéressants et attachants dans leur lumière et dans leur ombre. Certains rebondissements sont vraiment inattendus. Une mention spéciale pour une forme narrative très intéressante qui se concentre sur les différents personnages en alternance, mais sans suivre une trame précise, géométrique, répétitive. Le tout est d’une fluidité impressionnante.

Bon, après les fleurs, quelques points d’interrogations. Campagne : n.f. Les terres cultivées, hors d’une zone urbaine. (Petit Robert). Je viens de cette région des Laurentides où se passe le roman et chaque fois que j’ai dit être née à la campagne on m’a reprise pour me dire que ce n’est pas la campagne, c’est la forêt. Bon, excusez ma maladie de la précision du langage, mais il fallait que j’en parle : il me semble que la campagne réfère aux territoires de ferme, pas à la jungle laurentienne.

Plus sérieusement, j’aurais souhaité que les déchirements vécus par Lila par rapport à la colère et à la violence soient mieux dessinés. À ce propos, les cinq dernières pages du livre sont vraiment de trop. Comme si vouloir boucler la boucle une fois de plus en fin de parcours, c’était une fois de trop. Si le livre s’achevait à la page 382, la finale resterait floue quant à la frontière entre l’acception et la violence, entre la vie et la mort. Et j’aurais préféré qu’il en soit ainsi.

Catherine

Extrait :

Lila Szach aimait les chemins qui montent. Tant de choses dans la vie, y compris la vie elle-même, ne font que descendre. Elle aimait les chemins ensoleillés qui montent, et celui-ci, justement, ne montait pas. Il s’enfonçait, noir, sous des murs d’arbres compacts, il plongeait dans des entrailles végétales suspectes d’où on ne pouvait émerger qu’à moitié digéré. Déjà, des régiments d’insectes tout en dards et en vrombissements se précipitaient à leur rencontre.

Le propriétaire du chalet les attendait en bas, au fond du gouffre. Lui aussi avait son bataillon de mouches noires lui guerroyant autour, mais cela ne semblait pas l’incommoder. C’était un vieil homme. Il faut être vieux pour avoir l’habitude des gouffres. Bardés de verres épais, ses yeux de raton laveur les regardèrent approcher sans leur sourire. D’ailleurs, tout le temps que dura leur rencontre, il ne sourit pas, sauf une fois, très brièvement, lorsqu’elle mentionna qu’elle avait un chat.

champagne
Éditions Boréal - 400 pages