C’est l’été indien. Les estivants sont partis. Louise se rend, comme chaque soir, Chez Phillies, un café de Cape Cod, en Nouvelle-Angleterre. Norman, son amant, homme marié doit la rejoindre et lui annoncer qu’il s’est séparé de sa femme. Mais Norman est en retard. Louise retrouve là avec Ben, le barman. Cela fait des années qu’ils se connaissent ces deux-là. C’est alors qu’apparaît un revenant : Stephen.
 
Stephen et Louise ont été amants, les coqueluches en vue de Boston. Elle, actrice puis auteur de théâtre, bien connue des milieux branchés. Lui, jeune homme brillant, issu d’une vieille famille, digne héritier d’un grand avocat de la place. Ils ont vécu ensemble un amour sans nuages durant cinq ans jusqu’au jour où Stephen laisse tomber Louise pour Rachel, toute aussi brillante diplômée, et appartenant au même milieu que lui.
 
On assiste aux retrouvailles de ces anciens amants, cinq ans après la séparation. Certains pourraient trouver qu’il ne se passe pas grand chose dans ce café. C’est vrai ! Mais c’est sans compter avec le talent de l’auteur. Il se livre à une analyse minutieuse, experte des sentiments, de chacun des personnages. Louise voit resurgir sa colère, ses douleurs d’alors. Stephen, la tête basse, mais sans remords pour autant, de devoir avouer qu’il s’est trompé avec son mariage. Et Ben, toujours silencieux, les connaît bien tous les deux, les observe. Il mesure tout le gâchis qu’ils ont vécu, l’écoulement du temps.
 
Un lieu, une soirée, trois points de vue qui donnent toute son épaisseur à cette scène. On se croirait au théâtre. D’ailleurs, l’auteur en a fait lui-même l’adaptation en 2004. Nous sommes au théâtre et pourtant il y a peu de dialogues. Les quelques lignes de conversations accentuent les silences chargés des protagonistes. On sonde les blessures infligées, subies. On évalue l’état de guérison de chacun avec sincérité, honnêteté, lucidité. L’amertume disparaît et la nostalgie reste.
 
Les mots sont justes, le rythme parfait. Le temps s'écoule lentement comme une fin d’été en bord de mer. C’est beau comme un tableau d’Hopper.

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Du même auteur : Se résoudre aux adieux, En l'absence des hommes, Retour parmi les hommes, Son frère, Un garçon d'Italie, Les jours fragiles, Un instant d'abandon, Un homme accidentel et La trahison de Thomas Spencer

Dédale

Extrait :

Donc, au début, elle sourit.
 
C'est un sourire discret, presque imperceptible, de ceux qui se forment sur le visage parfois, sans qu'on le décide, qui surgissent sans qu'on les commande, qui ne semblent reliés à rien en particulier, qu'on ne saurait pas forcément expliquer.
Voilà : c'est un sourire de presque rien, qui pourrait être le signal du bonheur.
 
Ce contentement qui lui échappe, c'est peut-être juste parce qu'elle porte la robe rouge, à manches courtes, qu'elle affectionne, qui lui affine la taille, qui lui donne la silhouette qu'arboraient les femmes américaines des réclames, dans les années cinquante. Elle se sent bien dans cette robe, encore belle, encore désirable. Elle a le sentiment d'être légère, et qu'un homme, de préférence Norman, pourrait la prendre par les hanches et la soulever sans effort dans les airs. Elle aime se sentir légère : cela lui rappelle sa jeunesse. Non qu'elle soit vieille, trente-cinq ans dans quelques mois, mais on ne parle déjà plus d'elle comme d'une « jeune femme » et on s'adresse à elle d'un « madame » plutôt que d'un « mademoiselle ». Elle n'est est pas chagrinée, non, elle admet que les années passent, que son corps s'est un peu alourdi dans ces endroits qu'on peut toutefois dissimuler grâce à des vêtements habilement choisis, et qu'elle seule connaît aussi bien. Elle voudrait juste retenir un peu, tant qu'elle s'en sent capable, ce temps qui file et demeurer une femme qui accroche quelques instants les regards.
 
Oui, le sourire, c'est peut-être simplement pour cela : être désirable, encore.

L'arrière saison
Éditions Pocket - 192 pages