Vendredi 14 mai 2004 05:49. Aucun doute, l'ordinateur ne ment jamais, c'est à cette heure-là que le mail de Clara est parti vers son destinataire. Clara a donc moins de 24 heures pour intercepter le courrier avant qu'il ne soit lu. Mais à l'ambassade, tout le staff est fort occupé par la répétition générale du 14 juillet. En effet, l'Ambassadeur et son épouse ont décidé d'éblouir les autochtones par leur savoir vivre français. Quant à Isabelle, la narratrice, elle navigue entre l'ambassade et le restaurant du "Lindo" dont elle tombe amoureuse.

Ce roman est une vrai salade composée :
d'un côté il y a une satire très acerbe de ces expatriés condescendants et méprisants. Monsieur et Madame l'Ambassadeur trouvent le peuple vulgaire, les Allemands rigides, les employés incapables, les homosexuels indécents; quand aux associations humanitaires, elles ne ne sont là, d'après eux,  que que pour extorquer des fonds à de riches personnalités. Bref, ils sont détestables, mais tellement caricaturaux qu'ils arrivent parfois à nous faire sourire.
Il y a aussi l'histoire d'Isabelle, la narratrice, jeune auteure française fraîchement débarquée dans l'île pour écrire son autobiographie en espagnol. Mais elle a un handicap de taille : elle ne sait pas un mot de la langue ibérique. Qu'importe, en attendant, elle joue la secrétaire particulière de Madame l'Ambassadrice et aime retrouver Le Lindo, un bel hidalgo, avec lequel la communication passe essentiellement par le regard et le toucher. Ces passages, hors de la sphère de l'ambassade, sont aussi l'occasion de nous faire découvrir un autre visage des Caraïbes, sans doute plus proche de la réalité même s'il est parfois emprunt d'un romantisme exotique.
Et puis bien sûr, il y a l'histoire de Clara qui permet de relier tout cela. La jeune femme met évidemment tout en œuvre pour que son mail ne soit jamais lu; elle fait appel pour cela à ses collègues de l'ambassade qui eux non plus ne portent pas dans leur cœur le représentant de l'État français. Mais voilà que la pauvre Clara est traquée à son tour par de dangereux hommes de mains. Toutes ses mésaventures nous sont relatées par son amie Isabelle et chaque chapitre commence par la date et l'heure précise : 05:49; 06:11; 06:47 etc...

Avec un tel découpage, resserré dans le temps, on s'attend donc à une écriture nerveuse et enlevée puisque l'intrigue est sensée se dérouler en à peine une journée. Seulement, à ma grande surprise, c'est loin d'être le cas : à force d'ouvrir des parenthèses et de relater des épisodes antérieurs, ce qui paraissait être le moteur de l'intrigue (l'interception du mail) devient quasiment anecdotique. Heureusement d'ailleurs, car le dénouement de cette intrigue parallèle est plutôt expéditif et décevant.
Reste donc le portrait acerbe du couple diplomatique et les états d'âme de la  narratrice, mais cela n'a pas suffit à me séduire totalement. L'ensemble m'a paru un peu brouillon malgré quelques bons passages (essentiellement ceux qui écorchent l'image des français expatriés et de ce milieu très fermé). C'est donc sans réelle tension que j'ai lu ce roman. Reste que le titre, issu de l'un des dialogues du récit, est une vrai bonne trouvaille et attise la curiosité : les personnes me croisant avec l'exemplaire en main ont toutes été amusées et intriguées par cette formule ambiguë.

Laurence

Extrait :

Mes attributions s'étaient étendues peu à peu. De secrétaire, j'étais passée, tout naturellement à dactylographe. Car ces militantes avaient décidé de faire profiter les futures arrivantes de leur expérience; elle allaient éditer une brochure où elles confieraient leurs déboires et qui s'intitulerait : Gardez le contrôle ! Je transcrivais sous leur dictée scrupuleuse qui n'omettait ni la mise en page, ni la ponctuation véhémente :

« Vous apprendrez vite que l'ambiance de votre intérieur est étroitement dépendante des relations que vous aurez avec votre personnel... »

Cette trousse « premier secours » éviterait tout geste irréparable, en particulier concernant le salaire. Ainsi les irresponsables qui envisageraient d'offrir des conditions de luxe à leurs employées seraient prévenues des conséquences de cette décision. J'avais tapé la semaine précédente le sinistre destin des malheureuses surpayées :

« Trop habituées à ces largesses, elles deviendraient des employées inconsolables, désormais aigries et éternelles insatisfaites, exigeant leur lessive hebdomadaire, le cake à rapporter chez elles, les vêtements de vos enfants, le pull que nous ne mettez plus, le cadeau de Noël, le cadeau de retour de France... toutes choses, qui, exigées, deviennent des revendications insupportables... »


Éditions Albin Michel - 312 pages