El Hadj est un roman noir, d'un noir sans atours et bling-bling ; un noir aussi dépouillé qu'efficace. Mamadou Mahmoud N'Dongo adopte une écriture très cinématographique.
Le découpage, pour commencer, puisque chaque page constitue un chapitre. Parfois seulement quelques lignes, voire une phrase, noircissent l'espace. Le blanc envahit la feuille renforçant alors la dureté du récit. Cette mise en page participe réellement à la narration et rend le texte très visuel : action, noir, action, noir, champ contre champ. Ainsi, même si il n'y a pas d'interruption temporelle entre deux chapitres consécutifs, ce renvoi systématique à la page suivante donne à l'histoire un rythme saccadé et  froid. Les protagonistes sont éclatés, divisés, entre eux mais aussi en chacun d'eux. Difficile de former une unité quand la vie vous a tant malmené. Même si ce découpage n'a rien de novateur, il sert ici parfaitement bien le propos de l'auteur et renforce le sentiment de malaise.

El Hadj c'est aussi le narrateur de cette tragédie en 6 actes. Il a 36 ans, a toujours vécu à Drancy sous l'influence du Vieux, ce père de substitution qui a accueilli sa famille en provenance du Sénégal. Mais les nuits du petit El Hadj sont hantées par les fantômes de la cité, par ces trains de la mort. Comment se construire quand on vit sur la terre même de toutes les horreurs ? Et puis il y a aussi le fantôme de Khadi, sa sœur, victime de la tradition, qui a préféré s'immoler que de vivre mutilée.
Aujourd'hui, après avoir été des années le chauffeur du Vieux, il veut quitter tout ça, partir avec Julia construire des châteaux en Espagne. Mais le milieu n'est pas prêt à le laisser partir ainsi, surtout à un moment aussi critique. Six jours donc, entre souvenirs et présent, pendant lesquels le destin implacable va faire son œuvre.

Si dans ce récit  Mamadou Mahmoud N'Dongo évoque la banlieue, c'est avec un regard différent de ce que l'on a pu lire jusqu'à présent. Peut-être parce qu'il a lui-même grandi à Drancy et qu'il connaît bien le lieu où se déroule l'action. Mais surtout parce que El Hadj n'est pas un roman sur la banlieue; disons plutôt un roman sur le grand banditisme dans la banlieue, ce qui ne représente qu'un microcosme de la population vivant à Drancy.
Pas de caricature de langage ici, le narrateur s'exprime dans un français simple mais élégant. Si la violence ne naît pas du langage, elle est ailleurs : dans l'impossibilité de sortir de cette prison réelle ou fantasmée, dans la brutalité des traditions. Paradoxalement, alors que l'intrigue est essentiellement centrée sur les hommes de la cité, les rares figures féminines que l'on y rencontre sont les plus impressionnantes : ce sont elles qui refusent, qui brisent les chaînes et font naître l'espoir d'un ailleurs possible.
El Hadj n'entend donc pas dresser un portrait de la banlieue mais nous raconte une tragédie, un épisode crucial de la saga mafieuse qui y sévit.

Comme je le disais en début de ce billet, l'ensemble est très visuel et l'on imagine avec facilité le film qui pourrait en être tiré. Peut-être parce que  Mamadou Mahmoud N'Dongo est lui-même réalisateur. On ne peut alors que souhaiter qu'il nous raconte à nouveau l'histoire d'El Hadj au moyen de sa caméra. S'il maîtrise cette dernière aussi bien que son stylo, cela promet un film choc et esthétique.

Voir aussi les avis de Tamara et Joëlle qui elles, n'ont pas été du tout convaincues.

Laurence

Extrait :

J'avais toujours eu tendance à l'introspection. D'innombrables questions me traversent, ce qui m'a conduit à ouvrir d'innombrables livres, sans y trouver pour autant d'écho. Je suis du genre à couper les cheveux en quatre. Mais ces derniers temps, il n'était plus question que d'évènements, de moments sur lesquels je ne souhaitais pas m'étendre. Et pourtant je n'arrivais pas à m'y soustraire, et tout s'était précipité avec l'enterrement de Kouyaté [le Vieux]. Sa disparition n'avait pas seulement eu une incidence, dans notre milieu, sa mort dans mon cas me renvoyait à mes morts.


Éditions Le Serpent à plumes - 293 pages