Parlons de l'intrigue pour commencer : un homme vit une relation adultérine depuis quelques années. Chaque jeudi, après le travail, il se rend chez Galia, sa maîtresse, pour quelques instants de sexe et d'évasion. Mais, ce qu'il avait cherché pour casser la routine de son couple officiel est devenu au fil des années un second enfermement.
Or voilà qu'un jeudi soir, un acte très banal va bouleverser sa conception du monde : en appuyant sur la sonnette de l'appartement de Galia, il prend conscience que son doigt n'est pas un doigt mais un os articulé. Et s'il en est ainsi pour son index, il en va de même pour tout son corps.... Tout à coup, l'étrangeté de cette révélation va l'obséder à tel point qu'il va remettre en question toute son existence.

José Carlos Somoza nous a habitués à flirter avec l'étrange et le surréaliste. Ce court roman n'échappe pas à la règle et l'on se met, avec le narrateur, à réenvisager tout ce que l'on croyait savoir de son corps. Un peu comme quand on répète inlassablement un mot jusqu'à ce qu'il perde sa signification et nous apparaisse comme neuf, dissonant, bancal. De ce point de vue, l'histoire est intéressante, mais ce à quoi je ne m'attendais absolument pas, c'est l'écriture que le romancier a adopté pour cette histoire...

Imaginez un roman de 62 pages sans aucun point et vous comprendrez ma surprise. L'écriture est resserrée, compacte, sans aucune respiration. Les dialogues se mêlent aux moments descriptifs et aux errements internes du narrateur. Bien sûr c'est un moyen pour l'auteur de mettre en exergue cette spirale infernale, mais cela oblige le lecteur à une certaine concentration. Car il faut se faire à la musique particulière de l'auteur pour pénétrer l'histoire. Or si comme moi, vous avez l'erreur de ne pas lire ce roman d'une traite, vous devrez à chaque reprise vous heurter à ce flot discontinu et perturbant. Oui, je pense que mon erreur a été là : ne pas me m'être réservé deux heures pleines pour lire ce récit d'un bloc. Du coup, je suis sortie un peu frustrée de cette lecture car j'ai eu l'impression de lutter sans cesse à contre-courant.

Du même auteur : La dame numéro 13,Clara et la pénombre,La théorie des cordes, Le Détail, Daphné disparue, La clé de l'abîme, L'appât

Laurence

Extrait :

[...] je l'avais senti brusquement : mon doigt était un doigt pourvu d'un os et son utilité provenait de l'os ; je le palpai avec les autres doigts, remarquai la dureté en dessous, après d'inimaginables couches de muscle, et la réalité de cette présence me laissa étonnée, et stupéfait, dans un état de stupeur et d'étonnement peu intenses mais persistants : mon Dieu, j'ai un os en dessus, mon doigt n'est pas un doigt, c'est un os articulé et protégé contre l'usure ; l'idée me vint ainsi, avec une logique si écrasante qu'elle ne me surprit pas en soi mais par son absence avant ce coup de sonnette, ce n'était pas une idée étrange et incroyable, mais une étrange et incroyable omission de l'idée dans le monde entier, un moment historique où je sonnai à la porte de l'appartement de Galia, Galia était sur le seuil avec son peignoir bleu ciel et ses cheveux ondulés comme par des rouleaux invisibles, et m'observait d'un air étonné, c'est une femme très perspicace : il s'écoula à peine un instant trop long entre le moment où elle me dit bonjour et celui où j'entrai, et m'avait demandé ce qui m'arrivait : je frottais l'index de ma découverte contre mon pouce, incapable de croire encore que l'évidence put être dissimulée, [...]


Éditions Les Mille et Unes Nuits - 62 pages