C’est un roman que j’ai lu (comme beaucoup de livres ces derniers temps) sur les recommandations d’une amie et je n’ai pas regretté. J’ai adoré l’auteur et la manière dont elle se décrit. Je nous ai trouvé tellement de points communs !!! Anne a des goûts littéraires très diversifiés (si elle avait vécu à notre époque, elle aurait sûrement fait partie des LCA – lectrices compulsives anonymes !). Elle aime passionnément les livres et se raconte des histoires tout le temps. Elle aime imaginer la vie des personnes qu’elle croise et notamment celle des immigrants, qui ont pour elle l’attrait de l’inconnu et qu’elle imagine toujours fuir un pays où ils étaient persécutés. Mais le point commun le plus flagrant entre elle et moi, c’est l’habitude qu’elle a de relire ses livres préférés, habitude à laquelle je ne déroge pas depuis que je suis toute petite. En plus de tout cela, Anne a des idées bien arrêtées sur le monde. Elle apparaît souvent mature pour son âge, et ce dès le début du roman. Elle est têtue, déterminée, confiante et sûre d’elle. Des qualités qui font d’elle un personnage passionné et très intéressant.

Face à elle, dans ce récit, Hugh McLennan. Ecrivain, il est l’auteur de Deux solitudes (Two Solitudes), un roman publié en 1945 qui met en avant les relations entre Canadiens-français et Canadiens-anglais, avec les deux guerres mondiales en arrière-plan. M. McLennan est distant, soucieux. Il semble tenir à Anne mais ne fait jamais rien pour le lui prouver concrètement. Entre eux, tout est implicite, tout est dans le non-dit, dans la réserve qu’ils affichent l’un envers l’autre. Leur histoire est impossible et ils le savent tous les deux.

Outre le récit de cette grande passion interdite et impossible, ce roman autobiographique m’a notamment permis de découvrir la vie au Québec dans les années 1950. Il m’est apparu comme un polaroïd immortalisant les mœurs et les coutumes de l’époque à différents moments correspondant aux différents chapitres du récit. Et ce qui frappe le plus, c’est de voir qu’à cette époque, les femmes n’étaient pas encore libres et indépendantes et qu’elles avaient besoin de la signature de leur époux pour conclure des contrats, par exemple, la leur n’ayant aucune valeur. Une anecdote dans le roman fait d’ailleurs froid dans le dos, quand on y pense : le cousin d’Anne (me voilà à l’appeler par son prénom, maintenant) est décédé d’une appendicite à l’hôpital parce que son père les avait quittés, sa mère et lui, et que sa mère seule n’avait pas le droit d’autoriser l’opération !!!

Un autre élément qui m’a beaucoup plu dans ce roman (et pour cause), c’est la manière dont Anne décrit la perception qu’elle (et avec elle, les canadiens, je pense) avaient des immigrants à cette époque. Le Québec est depuis fort longtemps un pays très ouvert à l’immigration et j’ai trouvé particulièrement intéressant de voir qu’Anne associait les immigrants à des réfugiés (rappelons-nous que les guerres ne remontaient pas à si longtemps que cela à l’époque du récit), qui, à ses yeux, étaient des personnes ayant vécu des aventures incroyables et passionnantes. J’ai vraiment appris beaucoup de choses grâce à ce récit et c’est quelque chose que j’apprécie énormément dans un livre !

En fait, quand on regarde bien, ce n’est pas tant l’histoire qui est au cœur du récit qui m’a fait aimer ce roman (bien qu’elle soit intéressante), mais ce sont tous les petits détails que l’on retrouve à côté qui, a mes yeux, en ont fait tout le charme. J’ai énormément aimé découvrir la vie au Québec dans les années 1950, me retrouver dans la narratrice, toutes ces petites choses qui font qu’un livre nous parle, à nous lecteur, autrement qu’avec son intrigue principale. Je pourrais dire beaucoup de choses sur ce récit, pleins de petits détails que j’ai aimé et qui m’ont touchée, pour diverses raisons, mais je pense en avoir déjà assez dit…. Maintenant, c’est à vous de le découvrir !

Pimpi

Extrait :

J'ouvre mon livre et je commence à manger mes céréales avec mes doigts. Je relis Guerre et Paix, traduit par Constance Garnett. Est-ce un homme ou une femme? Je veux toujours poser la question à quelqu'un et je ne le fais jamais. D'ailleurs, le prénom « Constance » pourrait-il être masculin? Je suis un peu déroutée parce que, cette fois, le prénom est écrit au complet : j'ai l'habitude d'entendre « Connie ». Et une qualité comme la constance peut s'appliquer tout autant à un homme qu'à une femme, non? Ou c'est peut-être que je ne fais pas confiance à une femme pour accomplir une tâche aussi formidable, colossale, que la traduction de Guerre et Paix à partir du russe. Mais je veux étudier le russe un jour et j'aimerais apprendre où et comment une femme y est parvenue. Je suis amoureuse du prince André. La petite princesse est morte et tout devrait à présent fonctionner pour lui et Natacha. Je crains et je déteste Anatole et j'ai peu de ce qui s'en vient.
M. McLennan pourra me dire si « Constance » est un homme ou une femme. Je le lui demanderai aujourd'hui, peut-être, si j'en ai l'occasion. J'aime l'idée de l'accueillir avec une question.
J'appuie pendant une minute mon menton sur mes mains et je pense à M. McLennan. Je ne pense jamais à lui par son prénom et je ne veux même pas qu'on le demande de l'utiliser. C'est comme pour Jane et M. Rochester. C'aurait été beaucoup plus troublant si elle avait continué à l'appeler ainsi après leur mariage, ce mariage qui survient alors qu'il est complètement dompté, qu'il est même mutilé, et qu'il est devenu « Edward », tout simplement. La situation a alors cessé d'être excitante.


Éditions XYZ éditeur - 183 pages