La tonalité de ce recueil est vraiment très éloignée de celle de Contes pour rêver. Autant, j'avais aimé la légèreté et la tendresse du précédent recueil, autant là, j'ai été frappée par le cynisme et l'amertume qui relient tous les récits. Mais peut-être qu'avant de vous expliquer tout cela, il serait nécessaire que je re-situe qui était Gérard Sire : Gérard Sire était chroniqueur à France Inter, et pendant les années 70, il a abreuvé les auditeurs de ses histoires à l'accent Languedocien. Papillon de nuit est en fait une compilation de textes écrits à cette occasion (avec quelques inédits tout de même).

Alors, je sais que certains voudraient, quand je fais un billet sur un recueil de nouvelles, que je détaille un peu chaque histoire, que j'en propose un court résumé, mais je ne peux m'y résoudre. D'abord parce que je pense que cela fait partie de plaisir de la lecture d'un recueil que de se laisser surprendre à chaque nouvelle histoire. Ensuite, parce que bien souvent, ce sont des récits très courts et qu'il est difficile voire impossible de les résumer sans déflorer une partie essentielle de l'intrigue. Vous devrez donc vous contentez de titres plus ou moins évocateurs.

Sur les 14 nouvelles, certaines sont particulièrement émouvantes, comme La lente agonie d'un papillon ou Le clown. J'ai aussi retrouvé son humour pince-sans-rire dans Le ministère du Vent ou Machli et Shloupe. Et puis je suis carrément passée à côté de quelques textes, comme Le français le plus moyen ou La dame au tailleur bleu.

Mais ce à quoi je ne m'attendais pas, comme je le disais en début de billet, c'est le cynisme, cette somme d'univers très sombres et pessimistes. Ses fils, qui ont signé la préface, laissent entendre que Gérard Sire se savait malade au moment où il écrivait les histoires réunies dans ce recueil. Cet éclairage m'a permis de mieux comprendre le contraste qui pouvait exister entre les deux recueils.

Du même auteur : Contes pour rêver

Laurence

Extrait de La lente agonie d'un papillon :

Jusqu'au bout il restera un spectateur.
Il a été celui de sa propre vie. Il sera celui de sa mort. Alors, d'ores et déjà, il importe de noter chaque détail. L'ambiance. Les couleurs. Les odeurs. Les bruits. Les détails anecdotiques comme le grondement inhabituel des vagues et la chaleur, tout à coup suffocante. Comme ce papillon qui vient d'entre dans la cellule et qui tournoie autour de l'ampoule nue. Un nymphale aux ailes mauves et jaunes. Autrefois, Enrique en connaissait le nom exact. Il essaye de se souvenir. Il fait un pathétique effort de mémoire comme si son salut en dépendait. Le papillon tourne et Enrique réfléchit... agra... agrau... agraulius... ou agraulis. Agraulis. Voilà, c'est le nom de ce papillon. Futiles et admirables rêveries. "Tu vas mourir, Enrique, et tu t'accroches à la soie mordorée de ces ailes qui battent dans la lumière." Il essaye de se faire peur. Il répète plusieurs fois : "Tu vas mourir", mais ces mots-là n'ont plus de sens pour lui. Il est déjà parti.


Éditions HB - 161 pages