Dans cette résidence, un vieil homme qui ne vieillit plus se contente de durer en écoutant en boucle des pièces pour piano de Schuman, essentiellement Les Scènes d'enfant – pièces si souvent jouées par sa femme. C'est le dernier lien qui le relie à son épouse disparue.
Il y a aussi son voisin de palier, un jeune homme, seul lui aussi. Ce dernier regarde la pluie tomber et les chapeaux que son amour a porté. Il a pour seule compagnie un visage sur une photographie. Les objets font resurgir les images du passé de l'absente, les odeurs et le goût de sanglots devant des abricots secs.

Ces deux hommes n'ont plus rien qui les retiennent à la vie, si ce n'est leurs souvenirs. Cette similitude renforce les liens qui les attachent l'un à l'autre ; comme le seraient deux naufragés sur une île déserte.

On pourrait croire que l'atmosphère de ce roman, noyée sous la pluie qui tombe à n'en plus finir, baignée de la douce musique de Schuman, rendrait l'histoire triste, voire déprimante. Mais il n'en est rien. C'est plein de douceurs, de nostalgie. On ne peut que s'attendrir face à ces deux hommes accrochés qu'ils sont à leurs amours perdus.

Il y a beaucoup de tendresse dans les mots choisis par l'auteur. Son style est sobre, concis, sans un mot inutile. Le mot juste comme la note juste sur le piano. C'est délicat, sans pathos ni volonté de faire pleurer. D'ailleurs les deux hommes ne pleurent pas, ne sont pas tristes pour autant. C'est comme si leurs larmes tombaient à l'extérieur.

C'est dans cette ambiance que se déroule la lecture. J'ai aimé ce style, cette histoire qui instinctivement donne envie de prendre tout son temps pour la lire, lové dans un cocon. Car c'est une histoire d'amours, d'exil, d'espoirs et de tendresse à lire doucement, tout doucement. C'est à savourer mot après mot pour bien s'en imprégner. Car on sait que les bonnes choses disparaissent elles aussi. Vouloir lire rapidement serait une hérésie. On passerait totalement à côté de la poésie, de la musique de cette histoire.

Gilles Perez a écrit là un premier roman plein de douceur, de touchante et subtile poésie. Une très belle découverte.

Autre roman de l'auteur : Un roman argentin

Dédale


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 03 juillet à la suite du "Prix Biblioblog 2009"


C’est en effet un très beau livre, bien écrit, au rythme très lent. Un livre qui demande du temps avec une écriture fine et ciselée, poétique mais sans tomber dans l’abstraction. Un beau livre donc où il est à la fois question de perte, d’abandon, de repères et de résilience. J’ai apprécié ma lecture comme vous pouvez le constater, et pourtant, c’est pour moi un livre sans prégnance, peut-être justement parce que je n’ai pas entendu entre tous ces thèmes abordés, une trame unie et forte qui permettrait à un propos global d’émerger.

Catherine

Perplexe. C'est le goût que me laisse ce roman dans la bouche, avec celui des abricots secs. Déjà le titre m'a tourmenté un moment. Je ne voyais pas que venaient faire les abricots secs dans l'histoire. Puis ils apparaissent. Un moment. Pour disparaître.
J'ai lu ce roman en deux fois. D'abord les cinquante première pages, du bout des lèvres, pour voir de quoi il s'agissait et appréhender le style de l'auteur. Puis je me suis essoufflé. Avant de le reprendre, d'essayer de voir au-delà et tout à coup ça a opéré. J'ai apprécié ma lecture, la musicalité qui se dégage de l'écriture, cette histoire croisée de deux couples à quelques générations d'intervalle. J'ai apprécié les pauses dans le récit, les silences qui deviennent tangibles. Mais j'ai été troublé par l'absence de dialogue, l'absence des hommes, l'absence de vie, le texte qui s'enchaîne, passant du présent au passé sans s'en rendre compte. Tout en vrac, comme on se souvient.
En fait, ce roman a été pour moi la rencontre entre toutes ces absences et toutes les présences que l'on sent : présence des femmes, de l'émotion, des non-dits. Bizarrement, ce qui est immatériel ou impalpable est plus présent que la réalité. Voilà je crois, ce qui m'a rendu perplexe.
Et pourtant, je suis persuadé maintenant que je donne mon avis, avec les quelques semaines de recul depuis ma lecture, que l'auteur a su mettre le doigt sur une définition de la vieillesse, de la vie. Un condensé d'absences et de présences qui laisse un goût particulier en bouche.

Cœur de chene

Certes, la musique des Kinderszenen de Schumann est douce, délicate, mais le premier sentiment qu'elle m'inspire est la mélancolie. Il en va de même de ce roman.
Malgré l'écriture très sensible, je ne me suis pas senti concerné par les personnages et leur histoire, dont la surface n'est que trop rarement percée.

Joël

C'est une mélodie très lente, les prières de deux hommes réunis dans la perte de l'être aimé. Derniers habitants d'une résidence sur le point d'être démolie, ils quittent leurs solitudes respectives pour se confesser leurs souvenirs de jours meilleurs. L'écriture de Gilles D.Perez est d'une extrême délicatesse : tout en poésie et soupirs musicaux, elle nous enveloppe d'un étrange sentiment de mélancolie « sereine et triste, d'une tristesse sans tristesse », un peu à la façon d'un morceau de Schumann; Une partition toute en subtilité, qui s'offre à qui veut bien prêter une oreille un peu attentive.

Laurence

Ce roman est emprunt d’une tristesse indicible, que l’on retrouve dans tous les mots, dans toutes les phrases. Ce roman, c’est le récit de souvenirs qui s’enchaînent au fil de la plume. Le narrateur rapporte les propos d’un vieil homme qui vient de perdre sa femme. Petit à petit, au fil de la plume et à mesure que les souvenirs remontent à la surface, ce vieil homme raconte l’exil, la fuite d’un pays en guerre, la perte d’un être cher. Puis, à son tour, de la même manière, l’auteur raconte les souvenirs qu’il a de sa femme décédée. On ne saura jamais de quoi sont décédées les femmes des deux protagonistes.
Pour ma part, le style a été un frein à mon appréciation du livre. L’auteur passe d’une idée à l’autre, d’un souvenir à l’autre, d’un narrateur à l’autre très vite, sans matérialiser aucun changement. Il n’y a pas de paragraphes, les phrases s’enchaînent sans possibilité de respirer. J’ai eu du mal à entrer dans le roman et à suivre le récit. Malgré les émotions qu’il contient, malgré la douleur perceptibles de ces deux hommes marqués par la tristesse du présent, je suis restée extérieure au roman. Une autre rencontre ratée. Dommage !

Pimpi

Joli premier roman, le goût des abricots secs est une réflexion sur le deuil, le départ. Celui de la voisine, dont le souvenir est toujours prégnant par l’intermédiaire de la musique de Schuman, celui de Vera, dont on ne sait ce qu’elle est réellement devenue. Deuil également d’un lieu, ce grand ensemble immobilier qui devient un personnage à part entière du récit.
Une réflexion servie par une belle écriture, qui si elle perd parfois le lecteur, finit toujours par le ramener sur ses pieds. Je suis assez admiratif de la manière dont l’auteur parvient à changer de sujet ou de période sans en donner l’air, en quelques lignes seulement. Un premier essai réussi.

Yohan


Extrait :

Les cloisons sont si étroites, m'avait-il dit, lorsque je lui avait demandé quel était ce morceau que l'on entendait si souvent – c'était il y a longtemps déjà, peu après que nous avions emménagé dans la résidence, Véra et moi -, et il m'avait adressé pour la première fois ce sourire. Je n'y avais pas porté attention cette fois-là, ce n'était après tout qu'un sourire, un sourire parmi tant d'autres. Mais le sourire était toujours le même lorsque je croisais le vieil homme dans l'ascenseur, ou parfois dans les allées du jardin qui borde la résidence. La musique ne nous dérange pas, bien au contraire, nous trouvons ce morceau si beau, et comme nous n'y connaissons pas grand-chose, avais-je répondu, soucieux de ne pas causer la disparition du sourire, et aussi de savoir ce qu'il en était de cette musique que sa femme jouait tout au long du jour, et parfois jusque tard le soir. Ma femme adore Schumann, elle passe sa vie assise à son piano, avait-il ajouté, avant de me saluer, cet homme devenu vieux, ou bien comme s'il était l'unique réponse possible à ce que la vie leur avait fait. Il est la concrétion de toute une histoire, ce sourire, le vestige d'une époque qui refuse de disparaître, et le vieux monsieur mourrait-il, sans doute, s'il perdait son sourire, ou – c'est la même chose – si la musique de Schumann cessait d'exister. Mais les premières notes emplissent le grand salon où le piano prend tranquillement la poussière. Leur écho me parvient à travers la cloison. La pluie n'est plus qu'un bruit lointain.


Éditions du Rouergue - 95 pages