Il y a un an et demi, j'avais été séduite par la plume de Valérie Sigward, et son petit Théo m'avait profondément émue (La fugue). C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'ai retrouvé l'écriture si particulière de cette auteure.
Même si le sujet est très éloigné du précédent roman, Valérie Sigward a encore une fois réussi à m'hypnotiser. Dès les premières lignes, grâce à une mise en page qui occulte les tirets des dialogues, le lecteur est pris dans un concert de voix et de pensées assez vertigineux. Ça tempête, ça crie, ça se bouscule; difficile de faire cohabiter ces quatre entités si différentes dans l'espace clos d'une voiture. Si l'écriture est rapide - comme ce compte à rebours des retrouvailles - Valérie Sigward use surtout ici d'un humour grinçant et percutant, que je ne lui connaissais pas. Ses personnages sont tous empêtrés dans leurs problématiques individuelles et cela donne naissance à des situations plus que cocasses. Mais derrière cet aspect léger, se cache avant tout une angoisse tenace : comment se construire quand on vous a coupé vos racines? Doit-on affronter son passé ou regarder uniquement vers le futur. Les deux sœurs ne sont bien évidemment pas d'accord sur la façon de procéder. Mais au-delà des conjectures, que trouveront-elles finalement au bout du chemin?

Et là encore, Valérie Sigward fait mouche. J'ai tendance à être allergique aux fins américaines, vous savez, ces épilogues qui vous ré-expliquent toute l'intrigue au cas où vous auriez raté un élément. Non seulement Valérie Sigward nous épargne cela, mais sa fin est suffisamment subtile et ambiguë pour laisser l'imaginaire prendre le relais à la fermeture du livre, ce qui ne pouvait que m'enchanter.

Comme vous l'avez compris, j'ai beaucoup aimé ce roman. Je trouve que Valérie Sigward a ce talent de faire exister réellement ses personnages de papier; peut-être parce que chacun est traité avec le même souci du détail : les deux enfants, par exemple, ne sont pas ici relégués au rôle de faire valoir, mais ont cette épaisseur qui les rend attachants et intéressants. Quant à l'écriture proprement dite, elle est efficace et en parfaite cohésion avec le contenu du roman : une impression de tourbillon permanent et de fuite en avant. Il ne me reste plus maintenant qu'à trouver Immobile, le troisième roman publié de Valérie Sigward.


Si vous voulez en savoir un peu plus sur ce roman, je vous invite à lire les avis de Clarabel, Cathulu et Laure

Du même auteur : La fugue et Markus presque mort

Laurence

Extrait :

Il faut pouvoir parler. Après vingt ans de silence, se présenter devant son père et être capable de parler. Faire la liste de ce qu'on aime et de ce qu'on déteste, il ne le sait pas, décrire tous les appartements dans lesquels on a vécu et qu'il n'a jamais vu, dire qu'on aime faire les brocantes, décaper des vieux meubles, dire avec qui on a eu des histoires d'amour, qu'on a été capable d'en avoir, dire qu'on a eu des enfants, dire qu'on ne connaît pas le son de la voix de Jeffrey, lorsqu'il était bébé il ne gazouillait pas, un bébé silencieux et les yeux grands ouverts, raconter ses voyages, son boulot, pour qui on vote, s'engueuler parce qu'on ne vote pas pour le même, raconter les films qu'on a vus et qu'il a peut-être vus lui aussi, dire qu'on est claustrophobe, qu'on se balade avec des calmants dans la poche et que juste les savoir dans sa poche suffit parfois, dire qu'on s'est demandé tous les jours ce que ça nous ferait d'apprendre sa mort. Résumer sa vie en quelques heures alors que ça a pris vingt ans. Et se demander pourquoi on a absolument besoin qu'il entende ça.


Éditions Julliard - 122 pages